critique &
création culturelle
Annabelle Guetatra
dessinatrice cherche profondeur

C’est désormais une habitude : après avoir présenté ses œuvres pendant une semaine dans la galerie, Karoo donne la parole à l’artiste exposé en fin de semaine. Voici donc Annabelle Guetatra, entre goût des expériences tout terrain et désir d’aller au fond des choses et de soi.

Retrouvez les œuvres d’Annabelle Guetatra dans la galerie Karoo .

Votre parcours est déjà très riche. Pouvez-vous le résumer ?
Je viens de la région parisienne, où j’ai fait des études d’art après avoir obtenu mon bac. Ensuite, j’ai passé des concours dans toute la France et je suis partie quatre ans à Aix-en-Provence, à l’École supérieure d’art. J’y ai appris toutes sortes de techniques. Puis, j’ai fait un Erasmus à Bruxelles, à la Cambre, et ça a été le coup de cœur pour la ville et l’école. J’ai donc quitté Aix-en-Provence pour m’installer à Bruxelles, où j’ai réalisé un master 2 en dessin, toujours à la Cambre.

Enfin, j’ai décidé de passer l’agrégation en dessin, à Bruxelles aussi.

Dans ce cursus scolaire, j’ai eu beaucoup de chance de pouvoir partir à l’étranger et travailler avec beaucoup de gens, totalement différents : avec des compagnies de cirque au Japon ou en Amérique, avec des danseurs… Tous ces stages et ces projets m’ont amené à embrasser un maximum d’horizons.

Après avoir étudié le dessin en profondeur, vous avez passé l’agrégation. Vous êtes devenue prof ?
J’ai enseigné un peu, mais, à vingt-cinq ans, j’ai vite eu le sentiment d’être trop jeune, de ne pas avoir assez d’expérience, notamment d’expérience de vie, ni assez de distance avec les élèves. J’ai eu peur de devenir une jeune prof frustrée. J’ai donc fait le choix, pas par dépit, mais assumé, d’arrêter l’enseignement. Par la suite, j’ai été amené à animer des workshops de dessin dans des classes. Et ça, c’était vraiment chouette.

Comment ces expériences, dans des milieux, des pays différents, influencent-elles votre travail ?
Je pense que cela se ressent dans mon éparpillement. À force d’être titillée par tellement de rencontres, je suis sans cesse tentée d’expérimenter : des performances, de l’édition, du cinéma d’animation à l’étranger…

Alors, précisément, pourquoi le choix de cette série en particulier ?
Lorent Corbeel (rédacteur en chef de Karoo, ndlr) m’a demandé de choisir une série cohérente. J’ai choisi ce qui me plaisait le plus dernièrement.

La série tourne autour de rencontres entre des figures humaines et animales.
C’est vrai qu’il y a souvent des animaux dedans. Mais, en fait, ce n’était pas voulu. Je n’ai pas fait exprès, et vous me le faites remarquer pour la première fois.

C’est difficile de produire, de dessiner tout le temps. Si je n’y parviens pas, je passe par des moments difficiles, un peu comme tous les dessinateurs, j’imagine. On se demande ce qu’on va dessiner, raconter. Il y a de plus en plus de dessinateurs, qui produisent des choses de qualité, avec des techniques incroyables. On se sent un peu tout nu. C’est un peu angoissant.

Du coup, les pièces que j’ai choisies sont celle pour lesquelles j’ai fait l’effort de me recentrer, un peu égoïstement peut-être, sur moi-même, sur mon travail. Pour faire quelque chose de qualité, aller au fond des choses, au fond de ce que je voulais dire et raconter, au fond de moi-même. Sinon, je pourrais dessiner, dessiner, sans arrêt.

Sur quoi travaillez-vous actuellement ?

Pour le moment, je travaille sur un film d’animation. Je pars d’un nouveau texte, avec une nouvelle technique. Le texte vient de ma sœur, comme pour les livres sonores qu’on peut trouver sur mon site internet.

En dehors de ce film, je dessine toujours, en fonction de mes lectures, de mon environnement, de mes envies, de thématiques qui me touchent. Actuellement, ce serait les abysses.

Les abysses… On sent chez vous l’envie absolue d’aller en profondeur, de prendre le temps d’aller au fond des choses pour en sortir quelque chose d’enfoui, presque intime.
Je pense que ces dernières années, avec la galerie, les expositions, tout a été très vite. J’ai parfois eu l’impression de ne pas pouvoir faire tout ce que je voulais, de perdre un peu pied. Et du coup, ce film d’animation, je n’ai pas envie de le faire pour dire que je l’ai fait. Il faut que cette démarche garde du sens, et, en effet, je veux lui donner de la profondeur.

J’ai la chance d’avoir une super-galerie ( la galerie D’Ys , à Ixelles) qui ne me met jamais de pression. Du coup, je n’ai pas envie de la décevoir en allant trop vite, en bâclant. S’il me faut cinq ans pour faire ce film, je les prendrai.

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