critique &
création culturelle
Entretien de l’été # 1
Dirk Seghers Recyclart

Recyclart, c’est un centre d’arts et des projets dans l’économie sociale, mais ce sont aussi des soirées, des concerts, des expos, des rencontres… entre autres ! Marie Ponçon a rencontré Dirk Seghers, l’un de ceux qui rendent possible cette expérience unique !

Lorsque l’on passe devant Recyclart, la structure du bâtiment est intrigante… C’est une ancienne gare ?

C’est une gare, c’est toujours une gare.

Vous l’avez donc réhabilitée en lieu culturel ?

C’est le seul lieu au monde où une gare se transforme en espace culturel la nuit tombée ! À Bruxelles, les trains passent jour et nuit par cette jonction. Mais ils ne s’y arrêtent plus à partir de 8h30, nous avons alors l’autorisation d’utiliser le rez-de-chaussée, ainsi que tout le couloir, comme espace culturel. L’intérieur, qui est bien plus grand que ce qu’il le laisse paraître, peut accueillir des soirées de plus de mille personnes.

D’où est venue cette idée ?

C’était de venir dans des lieux abandonnés, afin de se réapproprier l’espace public. Nous voulions spécifiquement créer Recyclart en dessous de cette jonction, qui est comme une cicatrice dans le tissu social de Bruxelles. Le but était de créer un lien entre les deux parties de la ville.

Recyclart est composée de trois éléments qui en font une structure unique. Ils ont pour objectif de concilier, dans ce quartier populaire, culture et économie sociale. Il y a le centre d’art, bicommunautaire et multidisciplinaire. Le restaurant, qui constitue le pôle d’économie sociale. Enfin Fabrik, qui sont nos ateliers de menuiserie et métallurgie.

Comment s’articulent les trois éléments de Recyclart ?

Si, à l’origine, il y a l’envie de combiner culture et ouvriers, économie sociale et culture, des projets communs se développent de plus en plus depuis quelques années. Par exemple pendant notre festival, il y a une installation architecturale. Elle est conçue par un architecte ou un bureau, mais elle est construite par Fabrik et fait partie du festival du centre d’art. Par la suite, en septembre, une exposition est réalisée avec les plans et d’autres projets du même bureau d’architecte qui a conçu l’objet.

Pensez-vous que la culture et l’art sont des vecteurs de lien social ? Quand on prend l’exemple des expositions photo, notamment avec le développement du numérique, c’est un art pour lequel les personnes prennent moins le temps de se déplacer…

Chez nous par exemple, Vincent Beeckman, le responsable de la présentation photo, propose des rencontres où il invite un photographe à parler tandis qu’il projette ses photos. La plus-value est justement d’entendre parler ou hésiter le photographe. La manière de s’exprimer en dit beaucoup sur les photos, c’est quelque chose que l’on n’aura jamais dans le virtuel.
Culture veut dire rencontre, mais celle-ci n’est possible que dans l’informalité. Or, organiser cette rencontre dénature son impact puisqu’elle devient alors formelle. Il s’agit donc de créer une atmosphère propice à cet échange. C’est parce qu’on utilise un bâtiment qui n’est pas conçu dans le but pour lequel on l’utilise qu’il y a une sorte d’informalité inhérente : ça donne le sentiment aux personnes qui le visitent que tout est possible. Si je vais chercher un DJ à la gare, qu’il vienne de Berlin ou de New-York, lorsque l’on approchera de Recyclart, il me dira « man, I really feel at home here ». Il n’aura encore rien vu ni entendu de culturel, mais il sentira l’atmosphère, et il saura que ça va marcher.

Aujourd’hui, il est essentiel de développer un lien avec le quartier dans lequel on est implanté, il n’existe plus de point de référence culturelle unique. C’est la première fois dans l’histoire de l’humanité qu’il y a cette densité et cette diversité culturelle. Il faut donc développer soi-même ces points de références culturelles. Pour cela, soit on importe des modèles artistiques d’ailleurs, soit, comme nous le faisons beaucoup, on crée des projets avec les habitants, par lesquels on développe ensemble une sorte de langage culturel commun.

Cette informalité s’oppose donc d’une certaine manière aux grandes institutions culturelles. Recyclart permet-il à des arts et à des moyens d’expression qui trouveraient moins leur place dans ces grandes structures d’avoir plus d’impact ?

Marcel Duchamp avait raison quand il disait que le contexte détermine le contenu. Il y a des artistes dont le travail fonctionnera beaucoup mieux ici qu’ailleurs et vice-versa. Il est de la responsabilité du directeur artistique de déterminer le bon contexte pour le bon artiste.

Les grandes structures sont importantes pour faire de grandes choses. Une exposition Europalia sur la Corée, ou sur le Japon ne peut se passer qu’à Bozar et ça se passe bien. Mais étrangement, il apparaît très difficile de faire de petites choses dans de grandes structures.

Avez-vous la volonté d’une constante évolution, ou est-ce quelque chose qui se fait de manière naturelle ?

Actuellement, on pense à intégrer le local exposition dans le café, en enlevant le mur entre les deux. On aurait ainsi une plus grande capacité en journée pour le café, d’où l’on pourra profiter des expositions. Et la nuit, ça nous permettra aussi de faire des événements avec une plus grande jauge.

Le changement est une nécessité, surtout du point de vue des subsides. Le fait que nous concilions des compétences de l’économie sociale et de la culture, et que nous soyons bicommunautaire, implique que nous devons faire appel à une multitude de subventions, en constantes évolutions. Pendant la première année de sa création, en 2000, le projet était financé par un subside européen. À partir de 2001, nous avons dû chercher nos propres modes de financement. En 2015, le budget pour les trois éléments était de 1,8 millions pour environ 34 personnes qui y travaillent.

Il y a une réelle volonté de lier Recyclart au quartier : comment la structure s’est-elle imbriquée au quartier et à ses habitants ?

Oui absolument, c’est une partie importante de notre travail, aussi bien en économie sociale qu’en culture. En ce qui concerne le centre d’art par exemple, il y a TV Marolles : c’est une TV locale qui existe depuis cinq ans maintenant, uniquement avec des gens qui habitent ici. Il y a les soirées « habitants » une fois par mois, autour d’un habitant du quartier. Il y a aussi le travail photographique de Vincent qui, cette année, s’est concentré sur les réfugiés au Petit Château : il a aussi travaillé avec les SDF autour de la gare centrale. L’interaction avec le quartier est très importante, parce que c’est encore un des quartiers populaires de Bruxelles et il nous inspire beaucoup.

Donc la relation fonctionne vraiment dans les deux sens ?

Oui, c’est exactement ça. Chaque être humain qui meurt est un musée qui brûle. J’ai appris ici que chaque personne, aussi humble soit-elle, a un passé, une histoire, dont tout le monde peut apprendre quelque chose. Notre rôle est de mettre ça en évidence pour un public, avec beaucoup de respect pour la personne. C’est aussi pour ça qu’on travaille structurellement avec une maison de repos, avec des écoles, et avec le restaurant social Nativitas .

Aujourd’hui le quartier change, il faut voir tous les chantiers ! Les zones qui étaient agréablement « indéfinies » autour de Recyclart sont de plus en plus récupérées. On peut être pour ou contre la gentrification, mais c’est inévitable. La bonne nouvelle, c’est qu’une ville est un organisme dynamique, où tout change tout le temps. Dès qu’un quartier sera récupéré, il y aura un autre quartier où la subculture ira, qui sera récupéré peut être dans vingt ans et ainsi de suite.

Vous organisez également un festival l’été ?

On est fous ! Tous les centres d’art ferment leurs portes fin mai ou début juin : nous, on accélère, on continue. En été, on organise un festival pendant six semaines. Parce qu’on a cet incroyable atout ici, cet espace public ! La ville est pleine de personnes qui ne vont pas en vacances ou qui cherchent un endroit pour profiter du soleil. On leur offre cet espace, un endroit où il y a de quoi manger, s’amuser, où il y a un événement culturel qui ne coûte presque rien. Le jeudi, il y a le four à pain public, des petits jeux interactifs, des sérigraphies, un coiffeur public, il y a aussi une attraction qui s’appelle « la plus grande kermesse du monde ». À 11h, il y a un concert gratuit à l’intérieur, et le vendredi c’est plutôt un format de nuit. On commence avec des DJ sets, dehors, de 9h à 11h. Puis on entre dans la salle et il y a de la musique jusqu’à 5h du matin, avec des groupes ou des mix toujours thématiquement et musicalement liés. Par exemple, la première nuit, c’est uniquement de la musique péruvienne. Il y a un groupe de Chicha Amazonica, puis de jeunes musiciens électroniques de Lima, et enfin, de 3h à 5h, il y a la seule fille DJ vinyle du Pérou qui finit la soirée.

Le festival a lieu du 29 juin au 4 août : on termine avec une grosse soirée techno. Et le prix maximum est de 5€, pour toute une nuit de musique. Il faut venir !

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