critique &
création culturelle
La passion d’un métier
Entretien avec six tatoueurs

Aujourd’hui, à la rencontre de six tatoueurs, je m’improvise éclaireuse sur les traces d’un métier encore trop peu connu. Voici les témoignages de Nafubi, Paco Rodriguez, Moncœurenlair, Féline Barre, ainsi que deux autres tatoueuses ayant souhaité rester anonymes : A. et L.

Dès mon premier pas dans un salon de tatouage – j’étais alors au Québec, pour la première fois seule outre-Atlantique – j’ai été frappée par la gentillesse et la simplicité des rapports entre artistes et clients. Un salon est un lieu rempli d’artistes épanouis et naturellement enclins à l’échange. C’est cette ambiance fraternelle et créative qui m’a fait tomber amoureuse de ce métier.

Afin de compléter les informations glanées çà et là pour m’aiguiller sur la piste légèrement floue du tatouage, j’ai décidé d’interviewer (à distance, pandémie oblige !) six artistes en leur soumettant un questionnaire. Ils ont accepté d’y répondre avec honnêteté : voici ce que j’en ai tiré.

La majorité des tatoueurs interrogés (cinq sur six) pratiquent leur activité à temps plein depuis environ un an ; de jeunes talents, donc, et âgés entre 19 et 34 ans. La doyenne, L., a d’abord travaillé dans des bureaux, avant qu’une amie ne la fasse s’essayer au tatouage. Lorsqu’il est question d’apprentissage en salon, les retours ne sont pas très positifs, et j’ai des échos de mauvaises expériences. Les six interrogés sont unanimes : cela se passe souvent mal, notamment parce que l’apprenti est sous les ordres d’un maître pas toujours agréable. Les rapports sont donc houleux entre anciens et nouveaux tatoueurs. « Je déteste les shops [salons de tatouage], leurs lois, leur univers. Aujourd’hui, l’apprentissage n’a aucun sens ni intérêt. » affirme Paco Rodriguez, 22 ans, autodidacte.

Grâce à ces interviews, je réalise qu’apprendre le tatouage par soi-même est possible. Deux jeunes tatoueuses, A. (19 ans) et  Moncœurenlair (23 ans) m’ont parlé de leur rencontre avec le tatouage, un peu par hasard. « J’ai acheté un kit pas cher pour essayer en tant que hobby, et puis ça m’a plu ! » raconte Moncœurenlair. Quant à A., c’est grâce à son petit-ami, tatoueur, qu’elle a remplacé le crayon par l’aiguille ; elle réalise aujourd’hui des pièces aux détails pleins de sensibilité.

Le mantra de tous ces tatoueurs semble être de se lancer, de ne pas avoir peur d’essayer. Cette grande spontanéité, que je ne soupçonnais pas, s’allie aussi à un sens des responsabilités accru. Une chose à ne pas prendre à la légère est l’hygiène. La formation pour apprendre les gestes essentiels est coûteuse : environ 600 euros. Lorsque je demande à mes interlocuteurs quels sont les risques sanitaires principaux associés à la pratique du tatouage, tous me répondent qu’il faut faire attention à la transmission de maladies, dans les deux sens ; il faut donc se protéger soi-même et le client.

Concernant l’aspect financier, je retiens que le métier de tatoueur entraîne de nombreuses dépenses, liées au caractère jetable de la majorité du matériel. « Le loyer du local restera le plus cher à payer » , indique Nafubi. Pour réussir à vivre de cette activité, il faut donc fixer un prix minimum pour toute prestation, qui serait d’environ 80 euros, ou 100 euros de l’heure. Ce palier permet à ces artistes de vivre décemment, et d’évoluer à l’abri d’une trop grande précarité.

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Trade with the great @k.k.ro ????✨ Merci à toi pour ce super projet et bravo ???? Done at @lesignorantestattoo

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Pour nos six tatoueurs, ce métier est une passion, une vocation, mais aussi, parfois, un dur labeur. Nafubi, à ce sujet, déclare :

L’un des pires aspects du métier, c’est le statut économique compliqué. On ne sait pas toujours si on aura du travail. De plus, la méthode de tatouage est longue à maîtriser. Il faut savoir ne pas être trop perfectionniste.

En ce qui concerne les aspects les plus positifs du métier, les tatoueurs répondent à l’unisson que la rencontre avec l’autre et le fait de laisser une trace indélébile sur le corps de leurs clients sont ce qu’ils préfèrent. Dans sa démarche, Moncœurenlair se démarque même en calquant une dimension thérapeuthique à son métier. Elle propose de réaliser des dessins basés sur le ressenti de ses clients, à travers un exercice d’empathie. Ce statut hybride, entre psychologue et tatoueuse, la déssert parfois et elle n’est pas la seule à ressentir ce « syndrôme de l’imposteur ». La tatoueuse Féline Barre, malgré ses indéniables qualités graphiques, se livre : « Il y a la pression de devoir produire de nouveaux dessins qui pourraient plaire aux plus nombreux, et le sentiment de n'être qu’un artiste parmi tant d’autres. »

À la question : « Vous voyez-vous toujours tatoueur.euse dans dix ans ? », la majorité répondent qu’ils l’espèrent. Seules Moncœurenlair, qui aime le changement, et L., artiste polyvalente, se voient changer de cap si, un jour, le cœur leur en dit. « Le tatouage pour moi n’est qu’un des multiples aspects de ma pratique artistique. La peau est un de mes supports. Je dessine et peins, sur la peau, la toile, la céramique, le papier, etc. » , dixit L.

Enfin, lorsque j’ai demandé à mes six interlocuteurs leur meilleur conseil à l’intention d’un jeune apprenti, certaines réponses m’ont beaucoup motivée. Féline Barre préconise la patience, l’audace et « un peu de sadisme » . L. invite à se questionner sur ce que l’on souhaite apporter au monde avec son travail, et conseille aussi de se plonger dans l’histoire du tatouage, « parce qu’elle est passionnante et qu’en fin de compte, c’est un peu l’histoire de l’humanité. » Modestie et curiosité sont clés pour respectivement Nafubi et Paco. Moncœurenlair me confie :

Tu es la seule personne qui peut décider de ce que tu peux faire dans la vie, et il n’y a ni bonne ni mauvaise façon d’y arriver.


Grâce à ces riches échanges avec autant de différents artistes tatoueurs, j’ai pu me faire une idée plus claire de ce qu’était vraiment le métier, notamment pour les jeunes générations. Cette spontanéité et cette liberté créatrice, souvent hors du cadre des mouvances traditionnelles, m’inspirent un retour aux sources qui me séduit. Je sais désormais qu’il est possible d’apprendre en commençant à petite échelle, en s’entraînant avec un matériel accessible sur des supports sans risques. L’important, au départ, est avant tout d’être créatif et persévérant. La route pour entrer dans l’univers bigarré et très secret du tatouage n’est peut-être pas si longue que l’on croit…

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