critique &
création culturelle
Lost in Random
Une épopée hasardeuse

Jeu d’aventure et d’action sorti en 2020 développé par le studio Zoink, Lost in Random narre un sombre conte mêlant psychologie et politique, cynisme et poésie, à travers un gameplay rythmé, novateur et labyrinthique. De grandes qualités qui feront défaut au fil de l’aventure.

Alea, un royaume autoritaire anciennement dirigé par des jets de dés, soit un monde où la chance était le maître-mot, se voit sombrer lorsque la reine prive ses citoyen·nes de leurs cubes magiques et devient la seule détentrice de la force aléatoire. Depuis ce jour, la classe sociale des habitant · es dépend de ce que sortira le Dé Noir, le dernier du royaume.

Le personnage que l’on incarne est une jeune fille du nom de Paire provenant d'une famille d’Unards, la plus basse classe sociale de cet univers. L’objectif est de retrouver sa sœur disparue deux ans auparavant suite à son jet de dé face à la reine. Pour cela, nous serons accompagnés de Décisse, un dé vivant ultra-puissant qui sera notre ami et surtout l’allié de nos batailles.

Deux types de combat sont présents : les combats classiques et ceux de plateaux. Le système prévu pour ces batailles est à première vue très excitant. Tout semble basé sur la chance. Notre capacité d’attaque et de défense dépend de nos jets de dés ainsi que des cartes que nous piochons au long de l’affrontement. Cartes qui nous permettent d’invoquer des armes, des pouvoirs ou encore des malus pour les ennemis. En réalité, la chance n’influe que très peu sur nos affrontements car un mauvais lancer ne comporte aucun risque, n’apporte aucune conséquence ‒ contrairement aux combats sur plateaux qui ajoutent une dynamique semblable au jeu de l’oie. C'est-à-dire que Paire est responsable d’un pion qu’elle doit amener au bout du plateau tout en continuant l’affrontement. Chaque case sur laquelle le pion tombe apporte un bonus ou un malus. Une partie du jeu qui m’a procuré plaisir et adrénaline à chaque reprise.

C’est malheureusement le seul endroit où l’on ressent une part d’aléatoire, ce qui est remarquablement dommage pour un jeu qui promet de porter ce thème comme centre de son expérience. Dommage et surtout frustrant. Le jeu s’appelle Lost in Random (perdu dans l’aléatoire), met en avant le dé dans toutes ses présentations, mais n’en ressort que rarement avec une sensation de hasard. Ni chance, ni malchance.

La balade se déroule au sein d’une ambiance à la Tim Burton vaporeuse. Des perspectives déformées, des personnages aux traits grossis qui déambulent dans des rues crasseuses et sombres illuminées par des jeux de lumières soignés. Chaque niveaux installe un festival de couleurs dans nos rétines. À travers cet univers nocturne et fabuleux se créeront de belles rencontres, comme la troqueuse de mots qui brocante les mots les plus rares du dictionnaire. Un beau moment de poésie et de cynisme.

Le travail sur l’écriture est d’ailleurs un des grands points forts de l'œuvre. La ville grouille de dialogues en tous genres qui ont été sources de beaucoup de sourires pour ma part. Tout cet univers est un réel plaisir à parcourir et invite à l’exploration durant trois belles heures. Ce qui est dommage quand on sait que l’aventure dure en moyenne dix heures, et même quinze si l’on effectue ses missions secondaires.Le souci provient principalement de la trame de gameplay qui exécute un schéma en boucle qui devient très vite lassant.

Chaque mission du jeu est un aller-retour entre différents personnages, ponctué ou non par un combat où chacun nous raconte sa version de l’histoire concernant la quête. Ces missions sont en majorité bien écrites et abordent souvent des sujets profonds ou rigolos et se permettent même les deux en même temps. Malheureusement, le nombre de celles-ci et leurs gameplays pauvres et archaïques (combats exclus) rendent la tâche lourde. Les objectifs principaux et secondaires se présentent tous de la même manière du début à la fin, seuls les thèmes et les décors changent.

Le jeu est honorable par sa générosité envers le lore1 . On sent une réelle envie de rendre cet univers crédible et ses villes vivantes. Je trouve que l'œuvre gagnerait à être épurée, à moins s’éparpiller. Lors du burn out de Paire, on se sent vraiment à sa place et, comme le dit le narrateur, traverser les villes de long en large devient vite fatiguant. Le sentiment de frustration est d’autant plus grand face aux non-récompenses des périples secondaires. Ces quêtes nous rémunèrent soit de cartes, soit de sous qui servent à en acheter chez le commerçant. Le problème étant que toutes les cartes que j’ai gagnées durant mes différentes parties se trouvaient déjà dans ma besace  bien plus tôt. De plus, il y a tellement de tâches secondaires dans chaque ville que le nombre d’argent obtenu est trop conséquent relativement au nombre de marchandises proposées par le marchand. Le résultat qui en découle est un rebut vis-à -vis des objectifs secondaires. Le souci n’est pas d’avoir de faibles récompenses mais d’en avoir proposées. Par ce biais, le jeu nous affirme que nous accomplissons cette quête pour la récompense matérielle alors que la richesse ne se trouve clairement pas dans les cartes ou l’argent mais dans la connaissance acquise de cet univers. Nous sommes donc conditionnés à la récompense mais si les rétributions finales des différentes quêtes s’avèrent inutiles à notre avancée ou au plaisir dans l’aventure, à quoi bon les accomplir ? Le jeu gagnerait à être beaucoup plus concis, sa générosité est sa plus grande qualité et probablement aussi son frein.

Malgré ses nombreux défauts qui ont un réel impact sur la qualité de l’expérience de jeu, je n’arrive pas à me défaire de ce souvenir vidéoludique. Je me sens attaché à cette histoire, ces personnages et cet univers. Je me souviendrai de Lost in Random comme d’un jeu face auquel j’ai ressenti l’évasion, le rire, de l’empathie mais aussi de la déception. Une œuvre généreuse pleine de rêves malgré des promesses non tenues.

Lost in Random

Studio Zoink

Electronics Art, 2021

10-15 heures