critique &
création culturelle
Musée Soulages : le noir et l’acier

Avec plus de cent mille visiteurs seulement dix semaines après son inauguration, le musée Soulages pare Rodez d’un atout culturel considérable.

Décidément, le Sud de la France continue son renouvellement muséal : après l’incontournable MUCEM à Marseille, dont les moucharabiehs de béton ornent désormais la Méditerranée, c’est au tour de Rodez de se parer d’un nouveau bâtiment dédié aux œuvres de l’inoxydable Pierre Soulages . Dans les deux cas, l’installation de ces musées a entraîné la redéfinition de l’espace urbain, voire la redynamisation de la ville entière. On flâne volontiers aux alentours du MUCEM ou du musée Soulages, même si la finalité de la balade n’est pas la visite des musées eux-mêmes. À Rodez , on en profitera par exemple pour faire un arrêt au café Bras, qui fait corps avec le bâtiment, et y déguster quelques produits aveyronnais, aussi succulents qu’authentiques.

Vue du musée Soulages, RCR arquitectes © photothèque Grand Rodez crédits C. Meravilles

Le musée Soulages, inauguré le 30 mai 2014, est d’abord une exceptionnelle pièce d’architecture, conçue pour accueillir la non moins exceptionnelle donation de Pierre et Colette Soulages à la ville de Rodez. Une réussite architecturale qui tient à sa parfaite adéquation avec l’œuvre de Pierre Soulages, brute, minérale, rigoureuse, par l’usage de plaques d’acier auto-patiné en façade, dont l’oxydation progressive rappelle les brous de noix et autres pigments utilisés par l’artiste. Elle tient aussi à son intégration dans le paysage urbain ruthénois. Les tons rouges de l’acier oxydé font écho au grès rose de la cathédrale toute proche, et les ouvertures ménagées sur l’horizon verdoyant de la campagne environnante et les monts de l’Aubrac rappellent la nature profondément rurale de la région. Enfin, la scénographie sert intelligemment le travail de Soulages , qui a pris part à la conception des espaces intérieurs et à l’accrochage de ses œuvres. Que l’on soit sensible ou non à ces œuvres entre finalement assez peu en ligne de compte, tant la mise en scène est réussie. Les architectes de l’agence RCR s’étaient d’ailleurs déjà inspirés de l’œuvre de Soulages pour concevoir les façades d’un précédent projet : la biblioteca Sant Antoni, à Barcelone.

Pour Soulages, la lumière est un matériau à part entière, qui interagit avec le relief de la peinture et remet continuellement en question la définition de la couleur. Qu’est-ce que le noir, quand la lumière fait briller les stries laissées par le couteau ou la brosse, et les fait paraître noires, argentées, blanches, mouvantes ? Selon Soulages, le noir est toutes les couleurs à la fois , c’est une couleur synthétique, vivante, dont la brillance, la texture du pigment et le travail de la matière sont autant de paramètres avec lesquels le peintre et la lumière peuvent jouer. Ses grandes toiles, suspendues perpendiculairement aux fenêtres, captent la lumière rasante et illustrent physiquement son concept de l’ outrenoir , exploré à fond ces dernières décennies. Le visiteur n’aborde pas la toile frontalement, il circule tout autour et prend pleinement conscience des reflets changeants à la surface du tableau.

Le musée donne aussi à voir les maquettes préparatoires des vitraux de l’abbatiale Sainte-Foy de Conques, des esquisses préliminaires aux essais de fusion du verre. Là encore, la lumière est l’élément clé du projet : en faisant le choix d’un verre gris-blanc translucide, mais dont le grain et la densité varient, le vitrail prend des teintes jaunes, bleues, oranges, selon l’heure du jour et la saison. Les qualités didactiques du musée sont à saluer, particulièrement dans la partie dédiée aux multiples. Les techniques utilisées — eau-forte, pointe sèche, sérigraphie… — sont toutes expliquées (en français uniquement !) et illustrées par des tirages assortis aux plaques originales. L’accrochage y est moins austère et intimidant que dans les salles des grandes peintures, et permet au visiteur de se sentir plus proche du travail de Soulages et de sa recherche du trait juste. À tendre l’oreille à la sortie du musée, c’est peut-être la partie qui parle le plus à un public peu rompu à l’art abstrait. Les chiffres sont là pour attester de l’attrait du musée Soulages auprès du public français mais aussi étranger : les prévisions basses de fréquentation annuelle étaient pulvérisées en six semaines et, à la mi-août, soit seulement deux mois et demi après son ouverture, le musée accueillait son cent millième visiteur !

musee-soulages.grand-rodez.com

Même rédacteur·ice :

Musée Soulages
Jardin du Foirail
Avenue Victor-Hugo
F-12000 Rodez