critique &
création culturelle
Stephan Goldrajch
et « Bailgyqkhe » l’avocat du diable

Depuis octobre 2013, le Père Fouettard, le Zwarte Piet , est l’objet d’une polémique aux Pays-Bas, et par ricochet, en Belgique. Accusé de véhiculer des stéréotypes racistes à l’égard de la communauté africaine, il est l’objet d’une enquête du Conseil des droits de l’homme des Nations unies (UNHRC) qui statuera de son sort 1

Découvrez aussi Stephan Goldrajch dans la galerie Karoo .

Stephan Goldrajch, la disparition hypothétique du Père Fouettard vous inquiète-t-elle ?
Depuis quelques années, il y a une polémique autour du Zwarte Piet qui accompagne saint Nicolas. Son avenir est entre les mains de l’ONU, qui décidera si, oui ou non, il est une figure raciste et donc, s’il faut s’en débarrasser. En tant que plasticien, je n’ai pas envie de prendre parti. C’est une opinion, c’est personnel. Historiquement, Père Fouettard n’a pas toujours eu la peau sombre et une coiffure afro. Saint-Nicolas, dans l’histoire originelle, est accompagné d’un diable. Ensuite, ce diable devient un méchant, un mendiant, un voleur. Ce n’est qu’au xixe siècle, en pleine période coloniale, qu’il devient le Zwarte Piet .

Les États-Unis ont aussi récupéré saint Nicolas, mais ils ont évincé son acolyte maléfique. Ils n’ont gardé que le bon côté de la légende pour imaginer le Père Noël. En tant que plasticien, j’aimerais conserver, dans notre imaginaire, une figure du mal. Je suis intimement convaincu que nous avons besoin de ce genre de figure.

© Myriam Rispens

Vous nous invitez à aller voir le mal ?
Exactement. Dans le monde culturel, mon idée est bien reçue, mais en dehors de ce monde, les gens ont du mal à concevoir qu’on puisse imaginer une nouvelle figure pour le mal. Qu’on puisse réfléchir à de nouvelles formes de beau est perçu comme normal ; par contre, imaginer une figure démoniaque, c’est insupportable. Notre société n’accepte plus de voir le mal. J’aimerais savoir quelle est la place du mal dans notre société. Cette question m’amène aussi à m’interroger sur celle du bouc émissaire. Puisque le second ne va pas sans le premier.

Lorsqu’il y a des tensions, des pressions, on essaie toujours de rationaliser le mal, de trouver des explications, de trouver un responsable. S’il y a du mal, il y a forcement un coupable : le bouc émissaire. Les politiciens y ont recours sans arrêt : faire endosser la responsabilité d’un problème à un groupe déterminé et identifié. C’est la genèse des racismes. C’est en fait cela, la vraie question posée à l’ONU au sujet du Zwarte Piet . Mais éliminer, ou non, le Zwarte Piet n’éliminera pas les questions liées au bouc émissaire. C’est pourquoi je tiens tellement à restaurer un personnage maléfique dans notre imaginaire. Pour que la question reste posée.

Comment se matérialise votre réflexion ?
J’ai créé une toute nouvelle figure parce que trouver un nouvel accompagnateur à saint Nicolas sans tomber dans les stéréotypes et donc, sans viser aucune communauté, est très difficile. Pour y arriver, il fallait repartir d’une feuille blanche. Ma créature, « Bailgyqkhe », représente donc le mal. Elle porte sur elle, et en elle, tous les maux de notre société : son nom est plein de fautes d’orthographe, le costume plein de déchets de plastique, de pollution, elle a trois têtes (pour chacune des couleurs du drapeau national, et pour chacune des communautés qui composent le pays). J’ai voulu en faire un bouc émissaire. Le costume a une poche sur le ventre pour recevoir les pensées lourdes des gens, un peu comme le mur des lamentations, mais pour nos mauvaises pensées, comme un exutoire, pour se décharger. (Découvrez les masques de « Bailgyqkhe » dans la galerie de Karoo de cette semaine.)

© Myriam Rispens

Et quand pourra-t-on voir ce nouvel avatar du mal ?
Ce soir à Ixelles ! C’est la première sortie de la créature, sa rencontre avec le public. Ce sera donc le point de départ d’une année de réflexion sur le mal et les boucs émissaires. Cette créature va tourner pendant un an, pour accompagner ma réflexion sur le mal, sur le mauvais. Le projet va évoluer durant toute l’année. On va se déplacer dans les écoles pour s’interroger avec les élèves sur le mal, sur le bouc émissaire. C’est quelque chose qui est peu abordé à l’école. Pourtant, les écoles sont des lieux de naissance privilégiés des boucs émissaires. J’aimerais aussi me déplacer dans une prison par exemple, mais je ne sais pas encore si j’en suis capable.

goldrajch.com

Même rédacteur·ice :

« Bailgyqkhe », de Stephan Goldrajch
Le 5 décembre de 18 heures à minuit
Bar Dehaus
183 chaussée d’Ixelles
[place Fernand-Coq]
1050 Bruxelles
Musique : DJ Lazarine

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