critique &
création culturelle
Zimbabwe (1)
Un vent sec souffle sur le royaume de pierre

Figé à son poste depuis plus de trois décennies, le Président Robert Mugabe va fêter ses 92 ans et gare à quiconque voudrait le détrôner.

© Thandiwe Cattier

Harare, capitale du Zimbabwe.Assis par terre le long du trottoir, les vendeurs de fortune attendent patiemment le client sous une chaleur dantesque. Ces hommes et ces femmes de tous âges proposent une multitude de denrées glanées ici et là, comestibles ou pas. Certains sont là depuis cinq heures du matin et ils proposent ce qu’ils peuvent. Une jeune femme a pour seul bien des baies rouges élégamment posées sur un drap blanc. Un homme d’une cinquantaine d’années possède cinq ou six boîtes d’allumettes, des bonbons à la menthe et quelques cigarettes. D’autres écoulent la récolte du jardin, font griller des arachides, du maïs frais ou des chenilles séchées. Des livres aussi sont étalés sur le sol, la plupart ne datent pas d’hier et traitent souvent de Dieu, de grammaire ou de mathématiques.

Cette après-midi la lumière est éblouissante, la saison des pluies a commencé et les jacarandas, plantés par les Britanniques au début du XX e siècle, sont en fleurs. La caractéristique de cet arbre importé d’Amérique latine est le somptueux bleu mauve de sa floraison, qui en ce moment même enrobe les avenues d’une atmosphère féerique.

Avant de se poser à l’Africa Unity Square, un paisible petit carré vert aux allures londoniennes, le bruit d’une fanfare se fait entendre au loin. L’orchestre se rapprochant progressivement, on peut distinguer les uniformes aux couleurs kaki. Ce sont donc des militaires qui paradent au son du clairon, ils doivent être une soixantaine tout au plus.

Au centre du cortège, un soldat brandit une photographie de la taille d’une affichette pour la campagne électorale. Pas bien grande, il faut se rapprocher pour identifier le portrait d’un Robert Mugabe tout sourire, et délesté d’une bonne vingtaine d’années. À l’époque, le président devait avoir dans les soixante-dix ans. L’escorte poursuit sa route et les curieux qui s’agglutinent sont peu nombreux, il n’y a pas de mouvement de foule. Des policiers ont beau s’agiter tout autour, chacun semble vaquer à ses occupations. Si les passants affichent une certaine indifférence, d’autres en revanche ont l’air très attentifs à l’événement qui se prépare.

© Thandiwe Cattier

Aujourd’hui c’est l’ouverture de la seconde session parlementaire et il y a pas mal de monde à Unity Square, d’habitude si tranquille. Ce n’est pas la cohue, à peine rempli à moitié, mais des gens se pressent tout de même pour pénétrer dans le jardin public situé juste en face du Parlement, une grande et belle bâtisse blanche d’allure coloniale. Plantées devant les grilles, les forces de l’ordre armées de casques et de matraques fouillent les sacs, inspectent le va-et-vient et vous somment de ne pas prendre de clichés du défilé, avec un regard et une intonation de voix particulièrement convaincants.

Trois écrans géants sont disposés dans l’une des allées du parc où des centaines de personnes ont déjà pris possession des lieux. Ici, beaucoup arborent des lunettes noires et les tenues à l’effigie du « Père de la nation » défilent à tout va. Quelques femmes superbement vêtues ne passent pas inaperçues dans leur belles robes colorées, contrastant avec le blanc immaculé des tuniques et des voiles portés par les disciples de la secte religieuse Zionist, très populaire en Afrique australe. Aperçue à plusieurs reprises, cette phrase écrite au dos d’un t-shirt: « Pas de caution pour les violeurs d’enfants ». Entassés sur une banquette, un groupe de jeunes insiste lourdement pour être pris en photo. Ils sont bruyants et surexcités. Avant de prendre la pose, c’est une déferlante de questions qui va s’abattre dans un brouhaha assourdissant : « Pourquoi es-tu ici ? » ; « On se serre la main ! » ; « Quel est ton nom ? » ; « D’où viens-tu ? » ; « Donne-moi ton numéro, je veux être ton amie. » ; « À qui vas-tu envoyer la photo ? »

© Thandiwe Cattier

Pendant quelques heures, Africa Unity Square va se métamorphoser en fief de la ZanuPF, formation politique du président, dont l’arrivée imminente commence à se faire sentir. Des voitures noires aux vitres teintées font leur apparition, les soldats sont au garde à vous, l’ambiance est électrique, on scrute et l’on applaudit, les têtes se dressent bien haut comme des périscopes et des poings sont levés. Debout sur un banc, la vue est idéale mais le privilège sera de très courte durée : un homme tout en agressivité intime d’en descendre immédiatement. L’injonction est cinglante, sans appel ni explication.

Difficile de se frayer un chemin parmi la foule pour être au plus près des grilles. Et puis voilà que le nonagénaire, accompagné de son épouse Grace, sort de sa belle Rolls Royce collector. L’ancien combattant de la lutte anticoloniale, détenu par les Anglais pendant dix ans, se déplace vers l’entrée du Parlement, suivi par une horde d’hommes et de femmes en tailleurs et costumes. Pas des plus chaleureux, l’homme fort du pays salue ses partisans d’un signe de la main, son air est sérieux et sa démarche, vive et réactive, impressionne pour une personne de cet âge.

Robert Mugabe. Photo © Alexander Joe, AFP.

Le président, qui, en 2005, lança une campagne intitulée « Les blancs dehors », est à présent sur le balcon, les téléviseurs géants sont allumés, il prononce ses premiers mots : « On dit que Mugabe est isolé, pourtant je suis ici, aux côtés des gens du parti […] lorsqu’il sera temps de partir, je vous le dirai, mais pour l’instant… » Le discours se poursuit mais on a du mal à suivre tant l’image est médiocre et le son quasi inaudible. On distingue difficilement les phrases : « J’ai combattu les blancs, les prisons et mes adversaires […] », jusqu’à ce que les trois écrans rendent définitivement l’âme. Il est temps de quitter les lieux. Il faudra attendre le lendemain pour lire les journaux et voir ce qu’en dit la presse.

[à suivre]