critique &
création culturelle
Caroline Lamarche,
voyage en terres inconnues

À tous ceux qui rêvent de voyages au cœur de terres lointaines,

À tous ceux qui rêvent de voyages au cœur de terres lointaines,

la Chienne de Naha

de Caroline Lamarche promet de les entraîner loin, très loin de la petite Belgique. Au Mexique, avec un conte triqui pour fil rouge, l’instant présent plonge ses racines dans le passé et l’ici devient l’ailleurs, dénouant les fils emmêlés de toute une vie.

C’est par ce court récit, celui de la Chienne de Naha , conte traditionnel triqui, que débute le neuvième roman de Caroline Lamarche, dans lequel l’auteur nous emmène sur les traces d’une jeune femme au cœur du Mexique. La narratrice, qui vient de rompre de manière assez violente avec Gilles, accomplit ce voyage en réponse à la demande de María, sa sœur adoptive. Celle-ci n’est autre que la fille de Lucía, la bonne de la famille, que la narratrice appelle sa deuxième mère . Lucía est morte cinq ans auparavant, et la narratrice conserve le regret de n’avoir pu alors retourner dans son pays d’enfance pour lui rendre un dernier hommage.

Doublement enrichissant, le voyage au pays des Aztèques entrepris par la narratrice ne se résume nullement à un simple séjour touristique, subtil mélange de séances de bronzage en bord de mer, de découvertes culturelles et culinaires, d’errances en bicyclette aussi. Il se double surtout d’un second voyage, intérieur celui-là, qui lui permet de renouer en elle-même des liens intimes, certains parfois oubliés, ou plus sûrement refoulés.

Tout au long du récit, sur lequel plane constamment l’ombre de Malcolm Lowry et de son chef-d’œuvre Au-dessous du volcan dont la lecture accompagne la narratrice, Caroline Lamarche plonge littéralement son lecteur dans les entrailles du Mexique. Elle l’emmène visiter Oaxaca de Juárez, et ses multiples sites archéologiques, témoins d’un passé que certains ont tenté d’effacer. Elle lui fait également découvrir les Triquis et lui expose les événements de 2005, lorsque ce peuple se constitua en Municipio Autónomo afin de défendre leurs droits. Malheureusement, l’ethnie des Triquis souffrit alors de dissensions internes qui se soldèrent par de nombreux assassinats. De nombreux Triquis se virent même obligés de quitter San Juan de Copala. Espoir et désespoir se côtoient ici de très près.

La langue des Indigènes et des Mexicains s’inscrit aussi au cœur même du texte, auquel il offre une jolie touche musicale. Musicalité renforcée encore par l’écriture si particulière de Caroline Lamarche, dans laquelle la ponctuation, et essentiellement les virgules, rythment habilement le texte. L’auteur s’amuse aussi à mélanger espagnol et français, une alliance joyeuse et naturelle qui accompagna la narratrice durant sa petite enfance.

Mais la Chienne de Naha aborde également des thèmes universels, comme celui de la famille, de l’identité, et plus « simplement », celui de l’amour. Caroline Lamarche nous parle ainsi d’un amour perdu, d’un amour que la narratrice doit absolument oublier, elle qui est partie à la suite d’une violente dispute, instant d’absolue violence qui s’est incarnée dans une gifle qui ne dura qu’un millième de seconde mais modifia durablement le cours de sa vie.

Dans cet extrait circule l’idée, omniprésente dans le roman, du lien important entre voyage extérieur et voyage intérieur. Le séjour au Mexique est en effet l’occasion pour la narratrice de renouer avec son intimité, de réfléchir à son avenir, à ses objectifs, mais aussi à son passé ; de faire le deuil de Lucía, sa seconde mère, mais également de son amour pour Gilles. C’est l’opportunité offerte à la narratrice de se recentrer sur elle-même, d’opérer un profond changement, éminemment salutaire. Et ce texte magnifique, aussi bien qu’un voyage dans les tréfonds de la culture si riche du Mexique, ne peut que laisser une empreinte immuable sur l’esprit du lecteur !

Cet article est précédemment paru dans la revue Indications n o 393.

Même rédacteur·ice :

La Chienne de Naha

Écrit par Caroline Lamarche
© 2012, éditions Gallimard
Roman, 200 pages