critique &
création culturelle
Juste la fin du monde
Désamours imaginaires

Sans mélanger abusivement les ressorts du théâtre et du cinéma, Xavier Dolan signe un long métrage intéressant, tant la gestion des humeurs est remarquable. Siham Najmi en parle pour toi sur Karoo !

Le retour du fils prodigue douze ans après son départ. Entre-temps, pas de visite. Juste quelques cartes postales. Jamais très fournies en termes de textes, remarquez. À l’image du mutisme de Louis. Un mutisme dont il sort difficilement lorsque, confronté à nouveau à cette famille abandonnée, il veut lui parler mais n’y parvient pas. C’est cette communication impossible, ce non-aboutissement de la parole, que filme fantastiquement Xavier Dolan, le bouton coincé sur le zoom avant.

Donc, Louis (Gaspard Ulliel) revient. Sonnez trompettes résonnez tambours. Louis revient enfin ! Sortez les habits de fête. Douze ans qu’il est parti laissant une mère (Nathalie Baye) sonnée, un frère (Vincent Cassel) énervé et une sœur (Léa Seydoux) en manque de repères. Pour l’occasion, l’aîné, nerveux et vindicatif (Cassel, quoi), a ramené sa moitié effacée (Marion Cotillard) pour compléter le tableau qui dès les premières minutes se fissure par les moulures. La chape estivale s’abat sur le repas de famille. La sauce ne prend pas. Les frustrations s’alourdissent.

Cotillard et Cassel, égaux à eux-mêmes…

La pièce de Jean-Luc Lagarce, Dolan l’a lue une première fois, sans s’y attacher, voire en la trouvant chiante. Il a fallu attendre un peu, un film ou deux, pour la relire et être frappé par la langue et la tension offertes en bouquets d’explosions. Le pari était osé. Adapter une pièce de théâtre à l’écran relève souvent de la gageure. Le jeune réalisateur de vingt-sept ans n’en était pas à son coup d’essai, ayant commis en 2013 Tom à la ferme , d’après une pièce originale de Michel-Marc Bouchard. Cette fois, c’est donc Jean-Luc Lagarce qui fournit la matière première, avec son texte annonçant Juste la fin du monde . Et la langue de Lagarce n’est pas des plus aisées à saisir au vol d’un déni de gros cous. Nombreux sont les spectateurs qui butent et buteront, tant il est difficile d’emprunter ce chemin de terre caillouteux, sur lequel on se tord la cheville à chaque syllabe. Les mots sont boiteux. Ils ne sortent pas. Les phrases sont souvent inachevées, suspendues par de multiples petits points qu’on pourrait presque compter.

Xavier Dolan avec son équipe.

S’il a gardé la violence des rapports humains en tant que telle, ces petitesses de l’être qui le rendent à la fois beau et insignifiant, cette incompréhension de la famille face au revenant, et inversement, le tout saupoudré de haine et de passion, le réalisateur-slash-adaptateur a épargné au spectateur les longs monologues qui parsèment le conflit théâtral, particulièrement ceux de Louis, tout en modifiant un peu la structure pour accentuer le thème de l’incommunicabilité. Alors, au lieu de tirades en solo, Louis se tait. Interdit de ce qu’il voit et de ce qu’il entend. Abattu de chaleur aussi. La moiteur de la canicule l’accule. Il vient annoncer une nouvelle importante, pourtant. Mais elle se dérobe.

Les silences rythment le film. Leur nombre, important, creuse le fossé qui sépare les protagonistes. Dolan s’en saisit avec délectation, en profitant pour balader sa caméra en ultra gros plans sur les visages sublimés de ses acteurs. Une manière de screener le regard de ses personnages, regards intenses d’un jeu stupéfiant, où l’anémie côtoie la folie. Une manière aussi de rattacher le spectateur au personnage, de casser la distance créée par la langue retorse. La solution zoomy du réalisateur donne à l’œuvre une esthétique magnifique si on aime jouer les mouches sur les visages d’acteurs, pas dégoûtants au demeurant.

En ressort un film presque exclusivement construit sur le corps à corps, mais version figurative (on se comprend), un vrai film, pas du théâtre filmé, où à la crispation de la langue répondent les plis millimétrés des visages. Les acteurs s’exécutent à la perfection devant une caméra qui scrute l’origine même de leur expression, sans concession, comme la dernière preuve de la passion qu’ils inspirent à leur réalisateur.

https://www.youtube.com/watch?v=eSIXbNuCFNY

Même rédacteur·ice :

Juste la fin du monde

Réalisé par Xavier Dolan
Avec Gaspard Ulliel , Marion Cotillard , Léa Seydoux , Nathalie Baye
France-Canada , 2016
95 minutes