critique &
création culturelle
Keren Ann
le spleen en apnée

Ce samedi 5 octobre 2019, Keren Ann était de retour au Théâtre 140 à Bruxelles dans le cadre du festival Francofaune. Accompagnée sur scène par un groupe de quatre musiciens, à la guitare électrique et à la basse, à la batterie et aux claviers, elle a livré une prestation live très attrayante.

Avec une carrière d’auteur-compositeur de près de vingt ans derrière elle et plusieurs albums à son actif, Keren Ann nous offre un répertoire de ses chansons assez éclectique et varié. La première moitié du concert fait la part belle aux nouveaux morceaux très aquatiques de son dernier album Bleue, et des extraits de son précédent, You‘re Gonna Get Love. Ensuite, elle interprète toujours avec son groupe de scène des titres de ses débuts, tirés des albums La Disparition et Nolita (le très beau Chelsea Burns à l’ambiance feutrée et aux accents new-yorkais ) , des chansons de son riche album éponyme de 2007 : Lay Your Head Down , un très accrocheur It Ain’t No crime , In Your Back ; aussi, les titres entraînants et entêtants My Name Is Trouble et Strange Weather de son album 101 . Keren Ann et son groupe finissent leur prestation en beauté en reprenant un titre de Georges Moustaki, La Ligne droite. À l’écoute de ce dernier morceau chanté de la voix de Keren Ann, si reconnaissable par son timbre, nous ne sommes pas surpris de penser à Françoise Hardy. Les sens sont à vif, le charme opère.

Les arrangements sont riches et soignés. Nous passons de délicates compositions au piano, à la guitare électrique et à la batterie sur des airs teintés de folk et de blues (notamment sur les nouveaux titres Bleu, Ton île prison , La Mauvaise Fortune ) à des sonorités plus rock, électriques et franches, où s’emballent les guitares et les claviers.

Les chansons sur l’album Bleue sont caractérisées par une forte présence des claviers et des cordes, du violon. En live , Keren Ann n’a donc pas hésité à donner une nouvelle couleur à ses chansons dans les arrangements, délaissant les violons pour mettre en avant les guitares, tout en préservant la douceur et la fragilité de ses compositions. Il n’est toutefois pas étonnant de déceler chez elle de l’audace et de l’inventivité dans ses choix artistiques.

D’origine israélienne et hollandaise, ayant vécu à New York et désormais résidant à Paris, Keren Ann porte en elle et dans sa musique un esprit nomade. Elle a débuté en chantant en français sur ses premiers albums pour ensuite composer en anglais depuis l’autre côté de l’Atlantique. De retour en France ces dernières années, il était naturel pour elle de chanter à nouveau en français. En concert, Keren Ann alterne ainsi avec aisance des titres en français et en anglais, des chansons à l’ornementation plus minimaliste et dépouillée et des compositions plus fournies, moins blanches, mais non moins habitées.

Ses textes se caractérisent, peut-être plus encore dans son dernier album, par la présence d’une mélancolie diffuse, présente tout du long. Un romantisme et une fragilité dans ses paroles de chansons qui ne tombent pas dans la mièvrerie ou la simplicité. Les textes sont pesés et possèdent leur part de mystère, d’ambiguïté : le bonheur et la joie côtoient la séparation, la mélancolie et la tristesse. Keren Ann nous conte alors des histoires d’amour blessées, chargées de sensations (ici très liquides), sous l’eau ou embuées de whisky, et empreintes d’une douceur et d’un lyrisme bienvenus. Sa musique, élégante et cotonneuse, n’a donc pas fini de nous bercer.

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