critique &
création culturelle

Le Chien des étoiles de Dimitri Rouchon-Borie

Une odyssée semée de saletés et d'inconstances

Le Chien des étoiles de Dimitri Rouchon-Borie suit le parcours de Gio, Dolores et Papillon. Une odyssée gitane semée de crasses et de rencontres avec des personnages plus abjects et dégoûtants les uns que les autres. Eux, pourtant, sont doux, tendres et d’une délicatesse insoutenable.

Après s’être fait massacrer le crâne par un tournevis, Gio, à peine sorti de l’adolescence, comprend quelque chose que les autres ne comprennent pas. Il a survécu de justesse, alors qu’il avait pourtant accepté son sort. À partir de cet instant, il ne vit plus la même réalité que ceux qui l’entourent ; il voit le monde autrement. Appelé par les chouettes, il devine ce qu’est la beauté de la nuit, et garde, à compter de ce jour, la tête dans les étoiles. Et c’est sûrement ce qui lui permet de deviner, contrairement aux hommes bêtes et méchants qui l’entourent, que Papillon cache quelque chose de plus profond derrière ce goût inébranlable pour la violence. C’est un petit garçon qui ne s’exprime que par des gestes, à qui Gio s’attache rapidement. Dolores, une gamine de seize ans dont la beauté étourdit tous les hommes qu’elle est amenée à croiser, complète le trio en lui apportant une touche de féminité et de délicatesse. Ce trio, dont les personnages sont admirablement construits, décide de s’échapper de la misère, de la guerre et de la violence dans lesquelles ils baignent depuis leur arrivée dans ce monde cruel. Mais l’espoir d’un monde meilleur n’est pas suffisant pour le vivre… comme s’ils étaient tous trois condamnés à souffrir toute leur vie.

Gio voudrait s’enfermer dans ses pensées. Mais il ne peut pas.
― J’ai promis à Papillon qu’il n’y aurait plus de guerre.
― Mon garçon, faut pas faire des promesses pas tenables.

Dimitri Rouchon-Borie, chroniqueur judiciaire depuis 2011 et écrivain depuis 2021, a construit des personnages particulièrement bien développés. Ils sont sensibles, profonds et complexes. Leur évolution tout au long du roman est captivante, et leurs relations sont crédibles et nuancées. Seulement, cette attention aux détails et à la profondeur semble se concentrer presque uniquement sur les trois protagonistes ! Effectivement, Dimitri Rouchon-Borie marque une réelle distinction entre les personnages principaux et les personnages secondaires, en les nommant par des noms de fonction tels que « le Père », « la Mère » ou encore « l’autre », induisant alors une certaine distance vis-à-vis d’eux. Mais il est important de noter que même les personnages secondaires ont le potentiel et le mérite d’avoir un passé, une histoire à raconter. L’univers du roman est alors perçu comme artificiel, ce qui peut affecter sa crédibilité... On commence à avoir du mal à y croire et on se demande alors ce que font Gio, Dolores et Papillon dans ce monde qui joue avec les limites de la facticité et de la superficialité, et qui donne presque l’impression d’être fait de papier.

Le rythme est, lui aussi, très contrasté. Il se révèle, par moments, d’une maîtrise exceptionnelle, lorsqu’un équilibre harmonieux s’instaure entre le temps du récit et le temps de la narration, ou lorsque l’auteur parvient à complètement nous immerger dans le rythme de la perception des personnages. Ça, ce sont des passages où Dimitri Rouchon-Borie a excellé.

Gio plane un peu et s’en va trouver le mobil-home ; tout près, mais suffisamment à l’écart sur le terrain, adossé aux arbres qui font comme un début de forêt. L’accès a été proprement nettoyé. Il saute trois marches sciées dans de la planche de pin, et se stabilise d’un pas sur la petite terrasse. Il ouvre la porte ; un coup sec, elle tremble de partout et ça lui ramène le souvenir de ses guiboles en réa – ça oui elles avaient dansé !

Seulement, il suffit de tourner quelques pages pour s’y perdre, pour arriver à une scène d’action écrite à la volée, qui donne l’impression de se terminer avant même qu’elle n’ait réellement commencé. Les évènements se succèdent sans réelle cohérence ni lien apparent. L’écriture semble aussi précipitée que les actions qui défilent à la lecture. Les descriptions décrivent, mais trop succinctes, elles n’aident en rien à étoffer l’univers dans lequel on essaye de se plonger. Alors, on passe simplement à la page suivante, forcé de devoir entamer une nouvelle scène alors qu’on a la  désagréable sensation de ne pas avoir fini de lire la précédente.

Gio n’a pas le temps de réagir qu’Isaac est déjà sur lui, bras ouverts. L’embrassade est rugueuse et, sur un appui ferme, voilà qu’il les propulse au sol, dans un grognement. La sensation des poussières et de quelques charbons épars, l’autre est lourd sur son ventre. Gio revit un instant la chute et la cicatrice se met en panique. Et puis Gio boit de l’air et recouvre un peu ses esprits. Il est allongé, avec Monsieur Barrique lui pressant les côtes, et il croise les yeux de Dolores et il lui rend un sourire et il ne sait pas comment mais il se redresse et il cherche alors Isaac qui est toujours au sol.

Le ton qu’emploie Dimitri Rouchon-Borie est également variable et instable. Lorsqu’il veut traiter de la douceur, de la tristesse, de la délicatesse, ça fonctionne :  sa plume se déploie et les émotions se devinent entre les lignes. Tout est subtilité, faisant presque penser aux romans de David Foenkinos, dont la délicatesse est la spécialité.

Le petit sourit. Une dent lui manque. Il s’approche de Gio, et désigne son crâne.
― Quoi ? fait Gio.
― Il veut la voir, tiens !
Alors Gio se penche. Il tourne la tête et le petit touche la ligne de vie ou de mort. Il met sa main en pistolet contre la tempe.
Gio secoue la tête.
― C’était pas une balle, gamin, c’était une tige de métal. Un tournevis à ce qu’il paraît.
Papillon mime un truc qui tourne et se met à faire pleins de gestes avec les bras.
Gio répond du tac au tac.
― Nan, j’ai pas été attaqué par une boîte à outils, je t’expliquerai tout à l’heure à la pause. Maintenant, il faut faucher Papillon, faut faucher.
Bello les observe et constate sans ciller.
― V’là que les deux amochés se comprennent, annonce l’oncle, quand tout le monde s’est rassemblé pour faire une pause et manger un peu de singe.
Nino se taille une large tranche de pain et désigne les gosses avec la tartine.
― Ces deux-là ?
― Oui, fait Bello, le grand a l’air de piger la mosaïque du petit.
Simone rigole.
Papillon désigne le ciel et fait des moulinets.
Nino interroge Gio.
― Et là, il dit quoi, le petit muet ?
― J’ai pas regardé.
― Ben redemande-lui donc.
Gio se tourne vers Papillon.
― Redis-moi ton truc ?
Le petit répète les moulinets.
― Il dit qu’on devrait se rentrer, il va pleuvoir.
Et les hommes se laissent surprendre par les premières gouttes.

Mais lorsqu’il veut traiter de la violence, de la crasse, de la noirceur, on peine à y croire. Le langage utilisé est parfois un peu trop oral, ce qui peut laisser planer un certain manque de réalisme, comme en témoignent les seins de Dolores, qualifiés de « pêches » tout au long du récit. C’est comme si les hommes bêtes et méchants de son roman semblaient n’avoir aucun autre vocabulaire pour décrire les seins d’une femme ? Ils emploieraient tous le même mot, sans s’être concertés ? Pourtant, il existe une bien riche palette de termes disponibles pour décrire ces attributs féminins… surtout dans le monde que Dimitri Rouchon-Borie essaye péniblement de dépeindre. Ce manque de variété peut donner l’impression que le roman manque de cohérence et de profondeur.

Et ne parlons même pas des chouettes, un élément mystérieux qui plane tout au long du récit. Leur introduction est comme… disparue ? Ce qui fait que les rares fois où Dimitri Rouchon-Borie en parle, on se trouve simplement à se demander d’où elles viennent et pourquoi elles sont là. Seraient-elles des guides spirituels, des métaphores, ou bien auraient-elles une signification plus profonde ? Le mystère demeure, ce qui peut laisser le lecteur perplexe. Et cette énigme ne semble pas être un cas isolé. En réalité, c'est là le reflet de l'ensemble du récit. On se demande pourquoi l'histoire est telle qu'elle est, et où elle nous mène. L’odyssée ne semble jamais avoir vraiment commencé et ne s’être jamais vraiment terminée. Cette impression d'incomplétude et ces questionnements permanents persistent. Dès lors, on peut parfois avoir du mal à s'immerger dans l'histoire, risquant même l’ennui.

La déception semble atteindre son apogée à la fin du roman, sauf si l'on considère que la seule satisfaction du lecteur est celle de pouvoir le fermer à tout jamais. Le chien est comme sorti tout droit du chapeau d’un magicien afin de fournir un titre au livre et un personnage à qui Gio pourrait raconter le résumé du bouquin. Et là aussi, les questions commencent à se poser. Pourquoi Gio devrait-il résumer tout ce qui vient de lui arriver ? A priori, si le lecteur arrive jusque-là, c’est qu’il sait ce qu’il s’est passé… La logique derrière cette démarche est délicate à saisir.

En somme, Le Chien des étoiles de Dimitri Rouchon-Borie donne davantage l'impression d'être une ébauche, un premier jet, qu'un ouvrage abouti. Bien qu’on y trouve du talent dans certains aspects, l'ensemble semble souffrir d'un certain manque de cohérence, ce qui pourrait potentiellement influer sur la crédibilité de l'histoire. Cela peut amener à se demander si Dimitri Rouchon-Borie n'a peut-être pas encore complètement achevé son travail ?

Le Chien des étoiles

Dimitri Rouchon-Borie

Le Tripode, 2023

240 pages