critique &
création culturelle
Parfois les saisons 2 sont mieux
que les saisons 1 (mais vraiment parfois)

Si j’ai trouvé la saison 1 de Sex Education trop normative par rapport à ce que promettait la série, leur saison 2 se rattrappe en dénouant tout ce qui me crispait… Décryptage et mea culpa !

Je l’ai écrit et je persiste : la saison 1 de Sex Education livrait une très bonne série adolescente… Qui répétait des normes déjà installées dans les séries pour adolescents. Pour rappel de mes griefs : la série transmettait entre autres les messages que le sexe est lié à l’amour, que l’asexualité n’existe pas ou vient d’un traumatisme, que les violences dans un rapport homosexuel c’est sexy, ou encore que les femmes libérées sexuellement sont des mauvaises mères. Pour l’argumentation complète, c’est par-là .

Quand la saison 2 est sortie j’étais à la fois très enthousiaste et très méfiante. J’ai avalé les 8 épisodes en 3 jours avec beaucoup de satisfaction : les acteur.ices étaient toujours au top, le scénario contenait assez de cliffhangers pour me tenir en haleine, et le sexe était abordé… Et, cette fois-ci, sous tous ses angles. Je ne sais pas si les réalisateur.rices et scénaristes ont rectifié le tir dans cette saison suite à des critiques, où s’illes ont sciemment mis en place des clichés dans la saison 1 pour les dénouer et les contredire dans la saison 2, mais presque tout ce que je trouvais problématique a été résolu d’une manière ou d’une autre…

À commencer par le rappel bienvenu que les personnages principaux sont des adolescent.e.s, parfois un peu bêtes, souvent victimes des préjugés de leur époque, qui se débattent comme illes peuvent avec leurs désirs, leurs devoirs, leurs sentiments contradictoires. Si la saison 1 nous montrait un Otis en contrôle de lui-même, très sage dans les conseils qu’il donnait aux autres, la saison 2 nous fait voir une autre facette de lui : un jeune plein d’angoisses par rapport à lui-même, prétentieux, control-freak . Au cours de la saison 2, Otis connaît une vraie évolution : en expérimentant des émotions sexuelles et amoureuses, il se met à nu et révèle que lui aussi fait des erreurs (et parfois des grosses). Sa relation aux autres évolue,  notamment celle avec sa mère. Lorsque celle-ci vient travailler en tant que sexologue dans son lycée, Otis se retrouve en concurrence avec elle par rapport aux conseils qu’il donne, moyennant payement ; et très vite, il s’avère que ses conseils sont plutôt moisis. Parce qu’être psychologue sexologue est une profession et que Otis… n’a que 16 ans, et aucune formation. Par ce renversement de situation, la mère d’Otis, présentée comme névrosée et lui rendant la vie impossible dans la saison 1, est humanisée et reprend le contrôle en tant qu’adulte. J’ai pris conscience que le point de vue ultra critique qui avait été posé sur elle pouvait être interprété comme celui d’Otis, son fils ; dans la saison 2 le point de vue s’élargit, pour nous donner beaucoup plus celui de Jean, une mère célibataire qui fait de son mieux.

Je déplore malgré tout le traitement fait de sa relation amoureuse avec un « homme, un vrai » : solide, décidé, manuel, avec de larges épaules et un regard profond. Quand cette relation s’en va à vau-l’eau, on l’explique par l’impossibilité de  la pauvre Jean de s’engager dans une relation sérieuse… Alors qu’en vrai, son mec était super envahissant, foutait le boxon chez elle et lui construisait des armoires non-demandées. Moi aussi j’aurais du mal à m’engager dans ces circonstances. Peut-être ce point de vue là sera-t-il nuancé dans la saison 3 ?

D’autres points de vue bougent par rapport à la saison 1 : la relation entre Adam et Eric, qui était peu problématisée, est cette fois-ci ouvertement présentée comme malsaine. C’est Otis qui fait prendre conscience à Eric, non sans dispute, que cette liaison n’est pas épanouissante pour lui. Le regard posé par un ami d’Eric sur cet amour naissant fait l’effet d’une claque pour lui, mais aussi pour les spectateur.ices. Eric doit alors choisir – attention spoiler – entre une relation saine avec un garçon chou et une relation fucked up avec Adam, son bourreau. Si Eric ressent des sentiments très forts pour Adam, il prend conscience  que celui-ci ne le respecte pas, et parvient à ériger de – fragiles – barrières. Ce développement du scénario permet à la fois une approche réaliste du sujet adolescent, qui peut tomber amoureux de la « mauvaise » personne et débute sa vie sentimentale sans toujours se respecter, et un modèle d’action ; en effet, en mettant des limites à Adam, Eric parvient à obtenir ce qu’il voulait…

Le personnage de Maeve est toujours aussi complexe et badass , à la fois super-héroïne et super-petite fille. Les situations qu’elle doit gérer sont très difficiles et expliquent son immaturité émotionnelle ; mais alors que, dans la saison 1 elle était véritablement « l’héroïne », la saison 2 la montre plus fragile, égoïste, ayant du mal à s’ouvrir aux autres. Ce qu’elle a l’occasion de reconnaître face aux autres et à elle-même. La louve solitaire partage plus l’affiche avec les personnages d’Aimee, d’Ola, de Viv ou de Lily, ce qui donne l’occasion de belles scènes de sororité. Même si ce sont des adolescentes très différentes les unes des autres, pas forcément toutes éveillées aux questions féministes, leur expérience partagée de l’oppression des femmes par les hommes les rend complices et solidaires. Si cette évolution scénaristique est amenée de façon assez artificielle, elle fait aussi vachement de bien… Et les filles qui furent rivales finissent par connecter et se respecter.

J’ajoute à tout ces points positifs l’introduction de la première asexuelle de la série, qui n’est pas pathologisée comme anormale, même si elle ne fait qu’une courte apparition ; le vaginisme de Lily, qui mène à une scène de sexe géniale de masturbation parallèle – car c’est aussi ça le sexe parfois, et c’est cool – et qui n’est plus lié à « Je ne suis pas prête à faire l’amour » ; le génialissime personnage de Viv et son amitié avec Jackson qui nous fait vivre à l’écran une véritable amitié fille-garçon sans romance !

Bref, j’ai adoré cette saison 2. En adoptant un point de vue élargi par rapport à la saison 1, elle permet de voir différentes facettes des personnages et de comprendre qu’ils n’ont pas toujours raison et sont elleux-même plein de préjugés. Leur humanité, leur fragilité, fait passer des messages inclusifs et un point de vue sur la sexualité plus vaste que « papa dans maman », sans se transformer en manuel d’éducation sexuelle ennuyeux et didactique. À ce propos, il paraît que Le petit Manuel Sex Education , paru en France en même temps que la saison 2 et écrit par Charlotte Abramow, est super ! Je ne l’ai pas encore lu et j’ai hâte… Mais pas autant que pour la saison 3.

Même rédacteur·ice :

Sex Education

Une série de Laurie Nunn
Avec Asa Butterfield , Emma Mackey , Ncuti Gatwa , Gillian Anderson
Royaume-Uni, États-Unis, 2020
8 x 50 minutes