critique &
création culturelle
Vania !
Autopsie de l’intime

Après Mamma Médéa , Christophe Sermet signe la mise en scène d’un Vania ! hypnotisant. L’immense talent d’ Anton Tchekhov a trouvé une troupe de comédiens à sa hauteur. Nouvelle adaptation de Natacha Belova qui fait sonner les mots de façon très contemporaine et plus rugueuse, grande finesse dans la direction d’acteur : un spectacle sur le fil des émotions et terriblement touchant.

Le professeur à la retraite Sérébriakov regagne avec sa jeune épouse Éléna le domaine familial. La pièce se déroule dans la propriété de Sonia, fille d’un premier mariage du professeur. Oncle Vania a exploité toute sa vie avec l’aide de sa nièce (Sonia) le domaine pour en envoyer les revenus à Sérébriakov, dont il admirait la science. Après de longues années, il en est devenu amer, avec la sensation tenace d’avoir raté sa vie en travaillant pour ce vieil homme à l’endroit de qui il ne nourrit plus guère d’illusions. Sous la chape d’un été étouffant, le retour du professeur va dérégler le quotidien besogneux de la propriété et de ses habitants.

Au centre du plateau, un comptoir de cuisine rectangulaire en inox divise en deux l’espace scénique. Pouvant pivoter sur lui-même, il nous fait penser aux aiguilles d’une horloge qui marque le temps qui passe. Mais dans cette nouvelle version d’ Oncle Vania de Tchekhov, ce n’est pas l’ennui qui nous est révélé mais bien la tension qui en résulte, celle qui se crée dans les soubassements de l’oisiveté avec comme seul salut le travail. En bord de scène, un pan de mur suggère une maison qui semble fragile, prête à s’écrouler et peu apte à fournir protection à ses occupants. Le texte est divisé en quatre actes, sans aucun découpage en scènes. Le tout fait plus penser à quatre instantanés de vie dans un court laps de temps, traités comme de longs plans-séquences de cinéma, qui révèlent subtilement les failles de chacun des personnages.

On y croise Éléna (languissante Sarah Messens , qui envoûte tout ce petit monde de sa voix mystérieuse), le professeur Sérébriakov ( Pietro Pizzuti , qui impose de manière très discrète sa présence tyrannique dans la maison), Sonia (hallucinante Sarah Lefèvre , qui déploie une palette émotionnelle très vaste en créant un personnage terriblement humain), Vania ( Philippe Jeusette , en très grande forme dans ce rôle désabusé qui oscille entre rage, désespoir, tendresse et agressivité), Astrov ( Yannick Renier , qui joue magnifiquement de son charme ténébreux et nous offre dans une soulographie atypique quelques moments burlesques), Téléguine ( Philippe Vauchel , qui insuffle à ce discret personnage de tout son talent comique), Maria ( Annick Czupper , qui ouvre le bal des grandes explosions de manière magistrale) et Fédor ( Francesco Italiano , qui apporte des bouffées d’air musicales et poétiques…).

Toute la troupe, accordée à l’unisson, parvient à imposer un rythme commun à ce spectacle qui dévoile les tréfonds de l’âme humaine. Quand Tchekhov écrivait Vania (1899), la Russie était en pleine industrialisation et à l’aube de la révolution de 1905. C’est par son acuité psychologique et son travail sur l’intime qu’il arrive à révéler des dysfonctionnements plus universels. Vania ! aborde ainsi en filigrane nos désillusions, nos frustrations, nos petits arrangements les plus secrets pour ne pas voir le monde et notre vie tels qu’il nous sont donnés à voir.

Pour ma part, j’ai eu cette sensation extrêmement rare au théâtre d’être happé totalement par l’histoire et de ne plus sentir cet espace qui sépare le public des acteurs. C’est un spectacle bouillonnant, palpitant, irrésistiblement drôle ou triste par moment. Il se déroule inéluctablement jusqu’à de surprenantes ruptures qui font de ce Vania ! un petit bijou de sensibilité sur la nature humaine et sa condition.

Rideau de Bruxelles
Théâtre Marni
25 rue de Vergnies
1050 Bruxelles
Jusqu’au 22 novembre à 20 h 30
(le mercredi à 19 h 30, le dimanche 16 à 15 heures)
Infos et réservations : 02 737 16 01

Théâtre royal de Namur
Du 14 au 16 janvier 2015
Centre culturel de Nivelles
Le 20 janvier 2015
Wolubilis
Le 22 janvier 2015
Maison de la culture de Tournai.
Le 29 janvier 2015

Même rédacteur·ice :

Vania !
Pièce d’ Anton Tchekhov , adaptation de Natacha Belova
Mise en scène de Christophe Sermet
115 minutes sans entracte