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Everybody Happy

La dépression existe et l’humoriste Ralph Hartman l’a rencontrée : elle ressemble à un inquiétant barbu. Démonstration dans

La dépression existe et l’humoriste Ralph Hartman l’a rencontrée : elle ressemble à un inquiétant barbu. Démonstration dans

Everybody Happy

du Belge Nic Balthazar.

Ralph Hartman est un artiste accompli : comédien de

stand up

apprécié et adulé, sa carrière pourrait bientôt connaître son apogée grâce à un passage à la télévision dans l’émission humoristique la plus populaire de Flandre.

Parler de la dépression n’est jamais chose aisée, encore moins dans le cadre d’un film. La notion de dépression est liée au repli sur soi ainsi qu’à un profond sentiment de solitude et d’abandon. Comment aborder ce problème d’un point de vue purement formel, au moyen de la grammaire cinématographique ?

Récemment, le film Demolition de Jean-Marc Vallée s’est attaqué à la problématique de la dépression et surtout au phénomène de résilience, nécessaire à la guérison. Si ce film réussissait à retranscrire l’espèce de sensation cotonneuse dont le personnage principal (Jack Gyllenhaal) parvenait peu à peu à s’extraire, force est de constater qu’il peinait à retranscrire le douloureux sentiment d’enfermement interne des dépressifs, en raison d’un ton trop léger.

À l’inverse de Jean-Marc Vallée, le réalisateur belge Nic Balthazar a choisi de mettre en scène une dépression dure, violente et solitaire. Au moyen de différents dispositifs, le réalisateur nous enferme progressivement dans la psychose interne de l’humoriste Ralph Hartman.

Face à ses démons intérieurs.
Cela passe d’abord par une mécanique du dédoublement : la dépression de Ralph s’incarne sous les traits d’un barbu anonyme. C’est un individu séparé de lui, que lui seul peut percevoir. Ce procédé, relativement éculé, permet en fait d’éviter le recours à une voix interne. Le personnage du barbu sert ainsi de « catalyseur » aux pensées négatives de l’humoriste, à la façon d’une mauvaise conscience vicieuse et perverse lui rappelant constamment ses travers.

L’oppression exercée par le mystérieux barbu se trouve d’autant plus renforcée par le travail simple mais élégant de la composition des plans et du montage. Dans une bonne partie des plans dans lesquels apparaît Ralph, sa dépression n’est jamais loin. Dans les plans larges, la dépression occupe le fond de l’image ; dans les plans rapprochés, sa présence floue se devine derrière l’épaule du comédien.  En enfermant la dépression dans le même cadre que Ralph, Nic Balthazar produit un effet d’oppression, agressant autant le spectateur que l’humoriste : un effet aussi simple que brillant, accentué par le travail sonore, fait de clameurs, de murmures et de ralentis.

L’autre grande intelligence de Nic Balthazar est d’avoir choisi le milieu de la comédie. L’effet est ici double : les moments de comédie vécus dans la troupe bigarrée de Ralph agissent comme des bulles d’oxygène qui permettent d’échapper à l’asphyxie des scènes de dépression.

Le second effet est de poser une réflexion sur la difficulté de la vie de comédien, et plus largement des artistes : comment faire rire, faire ressentir quelque chose aux autres et leur faire oublier le quotidien lorsqu’on est soi-même en train de sombrer ? Comment continuer à porter le masque du comédien, malgré tout ?

Nic Balthazar livre un film simple et sincère, dont l’âpreté n’est due qu’à la justesse du ton. Intervenant au début de la projection du film, le réalisateur expliquait qu’après avoir traité de la solitude ( Ben X, 2007) et de l’euthanasie ( À tout jamais, 2012), il trouvait que la dépression n’était pas un sujet si mauvais pour clore la série, promettant avec le sourire que, la prochaine fois, il ferait un film un peu plus joyeux. « L’humour est la politesse du désespoir », disait Chris Marker. Voilà une maxime qui sied à merveille au film de Nic Balthazar.

[youtube id= »MH0k0fohMdI »]

Même rédacteur·ice :

Everybody Happy

Réalisé par Nic Balthazar
Avec Peter Van den Begin , Barbara Sarafian , Josse de Pauw
Belgique , 2016
93 minutes

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