critique &
création culturelle
Girl
une mise à nu sans tabou

Lukas Dhont fait beaucoup parler de lui en ce moment. Son film Girl nous rassemble autour d’une thématique progressiste pas toujours acceptée, celle des transgenres. Son premier film est un réel succès au vu des critiques et des entrées en salle depuis sa sortie en Belgique le 10 octobre dernier.

On nous en parle depuis le festival de Canne où le film Girl a remporté deux prix : la Caméra d’or pour le réalisateur Lukas Dhont et le prix d’interprétation dans la section Un certain regard pour l’acteur Victor Polster. Je ne pouvais pas manquer la sortie de ce film touchant. Il nous dévoile une facette plus intime de la transformation transgenre que celles déjà abordées au cinéma. Alors qu’il est en course pour être nommé aux Oscars, on ne peut s’empêcher de partager notre avis sur un film made in Belgium traitant d’une thématique très actuelle.

Lara (Victor Polster) a seize ans et est née dans un corps de garçon. Son choix de devenir une fille est pris et assumé depuis longtemps, et tout aussi respecté et encouragé par son père (Arieh Worthalter). Au-delà de sa transformation de genre, Lara se bat pour réaliser son rêve : devenir danseuse étoile. Admise dans une des plus prestigieuse école de danse du pays, elle doit travailler dur pour atteindre le niveau des autres filles. L’histoire de Lara nous parle de ses deux combats contre son propre corps, mais aussi de son courage très prononcé pour une si jeune fille.

Une autre facette du combat transgenre

La transformation de sexe n’est pas une nouvelle thématique au cinéma et Girl n’ouvre pas la voie sur le débat mais son réalisateur nous en parle autrement. La plupart des histoires transgenres déjà vues au cinéma (je pense notamment à Laurence Anyways (2012) du réalisateur québécois Xavier Dolan) mettent l’accent sur l’acceptation ou la critique de la société par rapport au choix d’une personne de changer de sexe. L’histoire de Lara commence bien après ce débat : son choix est fait et il est respecté par son entourage qui la soutient dans sa transformation. La problématique de son histoire est plus personnelle, plus intérieure. C’est également un combat contre le temps que Lara, impatiente d’être et de se sentir femme, doit mener. Elle a du mal à accepter que son traitement prendra du temps et que son corps ne changera pas du jour au lendemain. Elle doit se battre contre l’image qu’elle a d’elle-même lorsqu’elle se regarde dans un miroir avec un corps d’homme, bien que son apparence soit très féminine, et elle doit également trouver des réponses à ses questions sur ses attirances sexuelles. Tous ces défis et questionnements sont peu mis en avant dans le débat de la transformation de genre.

Le parallèle avec son combat pour la danse est magnifique car cette discipline gracieuse demande une forte exigence dans la maîtrise de son corps, de l’entraînement et de la persévérance pour arriver à un haut niveau.

Lukas Dhont n’hésite pas à poser sa caméra sur des images sensibles qui mettent vite la salle mal à l’aise. Il nous montre sans pudeur les pieds de Lara en sang suite à son acharnement pour les pointes ou encore lorsqu’elle utilise du tape pour coller son sexe entre ses jambes quand elle porte ses collants. Cette réalité mise à nu en laisse beaucoup sans voix et nous aide à réaliser les difficultés rencontrées par les personnes transgenres.

De nombreux plans sont également filmés caméra à l’épaule, surtout pour les scènes de danse. Ces dernières m’ont donné le tournis, comme si je tournais et tournais encore avec Lara, jusqu’à me donner le sentiment d’être confrontée à un tourbillon de questions, comme si je prenais une petite place dans ses pensées.

Lorsqu’on ne peut pas vivre certaines choses, il faut apprendre à les comprendre autrement. C’est peut-être le défi lancé par Lukas Dhont avec son magnifique film Girl.

Girl

De Lukas Dhont

Avec Victor Polster, Arieh Worthalter, Oliver Bodart

Belgique, 2018

105 minutes