critique &
création culturelle
La dame avec une jupe,
des lunettes et un fusil dans l’auto avec le chandelier

Adapté du roman de Sébastien Japrisot – dont on ne compte plus les adaptations au cinéma – , le nouveau film de Joan Sfar, la Dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil , présente un point de comparaison important avec le Cluedo, ce jeu de société fétiche de toute une génération. Osons le rapprochement, aussi hasardeux soit-il.

Si vous vous souvenez avec précision d’un samedi soir haletant où, du haut de vos treize ans, vous aviez installé dans une semi-obscurité électrisante le plateau du manoir à côté d’une petite lampe à la lumière tamisée, en compagnie de vos cousins et cousines, vous ne pouvez avoir oublié les règles du jeu.

Si le but de celui-ci consiste à élucider les circonstances qui ont conduit au meurtre du docteur Lenoir, le joueur averti que vous étiez sait que ce qui compte, au-delà de la résolution même de l’énigme, c’est l’excitation générée chez les joueurs pour y parvenir. Aucun doute sur le fait que la mise en scène du jeu selon la tripartite « suspect / arme / lieu » constitue son essence même et contribue à créer un halo de mystère qui mène avec délectation les joueurs jusqu’à l’élucidation du crime.

Avec la Dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil , c’est finalement un peu pareil. Ce qui prime dans ce nouveau projet signé par le dessinateur et réalisateur français Joan Sfar – à qui l’ont doit notamment, au cinéma, les ambitieux Gainsbourg vie héroïque et le Chat du rabbin -, ce n’est ni vraiment la narration ni vraiment le sort des personnages.

C’est bien plus son climat qui, à lui seul, concourt de manière très personnelle à faire du film ce qu’on appelle couramment « un policier » ou un « thriller » moderne – deux termes genrés dont les frontières restent néanmoins floues. Sfar en parle d’ailleurs lui-même dans un entretien accordé au Huffington Post , en évoquant son interprétation du roman de Japrisot : « J’ai […] eu une lecture plus proche de Franz Kafka ou de Samuel Beckett que du lieutenant Columbo. »

Le film doit sans conteste sa grâce à l’expression des sentiments chez les personnages plus qu’à la trame narrative en tant que telle, ainsi qu’à la manière dont leur perception est exprimée à l’image. D’abord par le biais d’une mise en scène aux frontières du fantastique, dans laquelle les mouvements des personnages semblent souvent suspendus, comme à la limite du plausible – à l’image de la mystérieuse protagoniste Dany. Ensuite, par un souci esthétique de l’image, soignée et cohérente.

On reste néanmoins circonspect devant des scènes où le mystère peine à s’installer, lui qui tend à être renforcé à grands coups de violons, la musique ne réussissant pas toujours à pallier l’absence de tension dramatique. On reste également surpris par des dialogues peu étoffés, à la limite du cliché, qui ternissent le précieux travail de l’image et empêchent le spectateur d’être embarqué sur la durée par le jeu de Cluedo.

Si l’intention du réalisateur est palpable, qui cherche à transposer au cinéma la trajectoire d’une femme fragile qui se bat contre ses démons et sa folie tout au long d’une quête de sens, elle manque  par contre d’endurance. C’est donc finalement une partie mitigée qu’aura joué Joan Sfar.

https://www.youtube.com/watch?v=DzT_uI4MJ7s

La Dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil

Réalisé par Joan Sfar
Avec Freya Mavor , Benjamin Biolay , Elio Germano
France , 2015, 93 minutes