critique &
création culturelle
Lastman
L’imagination au pouvoir

L’édition 2017 du festival Anima vient de s’achever ! Mais pour ne pas en rester là, les rédacteurs de Karoo vous proposent une rétrospective des productions d’animation qui les ont marqués. Gaspard Breny évoque Lastman , série française plutôt atypique mais déjà culte.

Paxtown, ce n’est pas vraiment l’endroit où l’on aurait envie de passer ses vacances : la mafia y règne en maître, les junkies s’entassent dans les rues et il semble difficile de ne pas tomber sur un flic corrompu. Pourtant, la situation ne paraît pas déplaire à Richard Aldana, boxeur à la petite semaine et parasite notoire à la langue bien pendue qui semble se satisfaire de ne rien faire de ses journées, profitant de la générosité de son entraîneur et meilleur ami Dave McKenzie.

Pourtant, la petite vie de Richard vole en éclats le jour où Dave se fait descendre par l’inquiétant leader d’une secte et que le boxeur hérite de la garde de la fille cachée de son entraîneur, Siri. Richard se voit alors embarqué dans une sombre aventure pleine de combats de boxe, de démons et même d’une chanteuse pop. Une mission pour lequel Richard est probablement la dernière personne (« lastman ») à laquelle on aurait pensé.

Lastman , c’est à la base le projet un brin fou de Bastien Vivès, Balak et Michel Salanville : un projet cross media visant à rendre hommage à la bande dessinée japonaise des années 1980 et 1990. Publiée depuis 2013, la série a été couronnée d’un Fauve d’Or à Angoulême en 2014 : un beau succès qui permet aux auteurs de lancer un projet d’animation. Projet d’animation qui en soi semble déjà complètement fou : produire une adaptation de la série pour un public adulte et francophone, destiné à être diffusé sur une chaîne publique (France 4) avec des épisodes de 13 minutes, format plutôt atypique en animation et difficile à caser dans une grille horaire. De plus, la série ne sera pas une adaptation de la bande dessinée, mais une série préquelle . De quoi effrayer plus d’un actionnaire… La série connaîtra quelques déboires financiers qui obligeront les producteurs à trouver des astuces pour combler le manque de moyens. Autant de contraintes qui seront transformées en atouts pour la série.

Car il s’agit bien de la première grande qualité de Lastman : en passant d’un format 26 minutes à 13 minutes par épisode, les réalisateurs ont en fait pu concentrer la qualité de l’animation : chaque épisode, bien que court, est léché et percutant. Si les scènes d’action sont en général plus que convaincantes, on notera surtout les scènes de boxe, dont le découpage et la dynamique lorgnent aisément vers Raging Bull (1980) ou plus récemment le film Creed (2017). Ce découpage doit sans doute ici beaucoup à Balak, l’un des auteurs de la bande dessinée, plus connu dans le monde de l’animation comme storyboardeur de grand talent.

Le travail sonore n’est pas en reste : la musique est somptueuse et lorgne vers les productions hollywoodiennes les plus récentes et les plus pointues. On pense notamment au générique de fin, dont les touches de synthétiseur ainsi que l’ambiance nous rappellent le Nightcall de Kavinsky, musique emblématique du film Drive (2011).

Lastman , c’est aussi un récit. Si l’intrigue semble de prime abord nous offrir une histoire de boxe dans une ville gangrenée par la mafia, la série se dote bien vite d’une trame fantastique, deux aspects qui semblent peu compatibles sur le papier. Bien que le surgissement du fantastique puisse faire tiquer de prime abord, il faut souligner l’intelligence dans l’écriture des scénaristes, qui ont en fait divisé les épisodes en trois catégories. Dans la première, on se concentre uniquement sur les histoires de combats de boxe sur fond d’histoire de mafieux, empruntant aux films de genre américains ou japonais. La seconde est dédiée à l’intrigue fantastique reposant sur la traque des mystérieux roitelets, créatures dont l’histoire et l’apparence font écho à celles des Apôtres du cultissime manga Berserk. De par leur ambiance souvent étrange et glauque, ces épisodes font aussi penser à un mix improbable entre X-Files et Silent Hill. Enfin, un troisième type d’épisodes, plus rare, parvient à combiner très intelligemment ces deux registres, pour un résultat aussi détonnant que déroutant : on pense notamment à la finale de la coupe de boxe tout simplement magistrale dans son déroulement et sa mise en scène.

La réussite de l’écriture concerne aussi les personnages et leurs interactions. On louera en premier lieu les dialogues, et surtout les répliques de Richard Aldana, qui brillent d’inventivité dans les remarques absurdes et potaches. Mais ce qui retient surtout l’attention, c’est le développement des trois personnages principaux. Si de prime abord Richard, Siri et Howard semblent chacun incarner un personnage caricatural, les auteurs parviennent peu à peu à offrir une vraie profondeur à leur relation : Richard passe peu à peu de parasite solitaire à père de substitution un peu gauche mais concerné, alors que Siri échappe au cliché de la demoiselle en détresse. Mais la palme revient à Howard, le personnage le plus mûr du trio, mais dont la série révèle peu à peu la complexité et la noirceur. Et lorsque le récit s’achève et nous met face à la conclusion de la relation entre les trois personnages, on ne peut s’empêcher de ressentir une pointe de nostalgie amère. Un sentiment qui tranche radicalement avec un début de série qui se voulait plus pop et décontracté.

Ce qui n’aura sans doute échappé à personne à la lecture de cet article, c’est la quantité de références qui nourrissent Lastman . Chaque épisode offre en effet son lot d’allusions plus ou moins discrètes à la culture pop, que ce soit dans le design des personnages ou les effets de mise en scène. Si l’intertextualité à la culture pop s’est de plus en plus répandue depuis le début des années 2000, elle peut parfois s’avérer abusive, tape à l’œil et desservir l’œuvre. Une œuvre trop référencée parviendra ainsi avec peine à développer une identité propre et à exister par elle-même. On aurait pu craindre qu’il en soit ainsi pour la série.

Et pourtant, Lastman évite cet écueil grâce à une qualité fondamentale : elle stimule l’imagination. L’univers, tout en étant très construit, laisse planer certaines zones d’ombre : que ce soit l’histoire de Paxtown, les monstrueux roitelets ou bien la mystérieuse Vallée des Rois, chacun de ces éléments est le plus souvent évoqué mais jamais exploité en profondeur. Le spectateur est alors libre d’imaginer les éléments manquants. Par ce simple procédé, il s’accapare l’univers proposé. À mon sens, il s’agit d’une qualité fondamentale qui explique le succès de bon nombre de grands succès de la culture pop, Star Wars et le Seigneur des anneaux en tête.

Lastman peut ressembler de prime abord à une série cool et très référencée, un parfait produit marketing imaginé pour un public geek ; mais elle se révèle une œuvre d’une grande intelligence par son propos et sa forme, une possible pierre angulaire de l’animation pour adultes en Europe pour les années à venir.

Même rédacteur·ice :

Lastman

D’après la bande dessinée Lastman de Bastien Vivès , Michaël Salanville et Bala k (Casterman)
Réalisée par Jérémie Périn
Avec les voix de Martial le Minoux , Maëlys Ricordeau , Vincent Ropion
France , 2016
26 épisodes

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