critique &
création culturelle
Le Millenium Online
une autre façon de sortir du confinement

Le 11 mars dernier, l'équipe du festival Millenium a annoncé que sa douzième édition sera reportée suite à la crise sanitaire du COVID-19. Postposé entre le 23 septembre et le 01 octobre 2020, le festival décide toutefois d'offrir à ses spectateurs confinés chez eux une petite sélection de films « Coup de Coeur » sur la page web du festival Millenium .

Dans cette période exceptionnelle nous sommes chacun amené à vivre différemment et à adapter nos vies à un nouveau rythme inhabituel. Avec ces conditions, le festival Millenium met en ligne quelques documentaires dont le sujet porte pour la plupart sur le fait de vivre dans des circonstances inédites. L'idée des organisateurs est de disposer gratuitement, à partir du 27 mars, un film par jour.

Recipes for Disaster , tourné en 2008, ouvre ce petit festival online . Son réalisateur, John Webster, prend une caméra pour se filmer lui et sa famille. Il embarque sa femme et ses enfants dans une aventure. Cet homme passionné et un peu têtu prend le pari de vivre pendant un an sans utiliser d'énergie fossile pour montrer qu'on peut réduire chacun les émissions de CO2 dans notre entourage et dans le monde.

Bien que le sujet soit traité avec humour et légèreté, nous voyons tout au long du film que ce défi peut complètement chambouler la vie d'une famille et qu'il n'est pas facile d'abandonner ses habitudes pour en créer de nouvelles allant à l'encontre de cette grosse machine qu'est la consommation de masse. Même s’il est difficile de faire bouger les choses, la morale du film montre que grâce à notre volonté nous pouvons adopter une nouvelle ligne de conduite au sein de chaque famille. John Webster nous fait comprendre que tout l'enjeu d'un nouveau monde auquel il voudrait qu'on aspire se construit à petite échelle, à travers le noyau familial.

Tout en restant dans cette dynamique familiale, le deuxième film proposé par le festival est intitulé All the Time in the World. Tourné en 2014, ce documentaire porte un regard sur un élément essentiel de notre vie mais dont notre activité effrénée fait perdre sa notion : le temps.

Une caméra à la main, la réalisatrice Suzanne Crocker part avec sa famille dans une lointaine pérégrination qui donnera un nouveau sens à la vie de chacun. Avec son mari et ses trois enfants, elle quitte le confort de leur maison pour vivre durant neuf mois dans le Yukon, ce territoire sauvage et montagneux du Nord du Canada. Isolés de tout, ils vivent cantonnés dans une cabane le long d'une rivière en pleine nature.

Tout comme dans le film précédent, la vie de famille est au coeur du documentaire. Mais Suzanne Crocker montre ici comment nous pouvons réorganiser notre temps pour soi et pour sa famille. Tout au long du documentaire, nous voyons comment les membres d'une famille tentent de vivre paisiblement, en parfaite harmonie. Le spectateur ressent peu à peu le but recherché par la réalisatrice. Le temps que l'on accepte de suspendre laisse finalement place aux éléments de la nature et à la poésie qui s'opère devant nos yeux. Dans ce temps « gelé », nous parvenons à entendre ce que le monde nous offre et finissons par apprécier les moments simples d'une vie : l’ululement d'un hibou, le crépitement d'un feu de bois, la fonte des glaces d'une rivière ou encore la joie d'un enfant dormant près de son chien. Véritable ode au temps, à la terre et à l'humain, le film de Suzanne Crocker nous apporte une solution dans ces moments de crise où l'homme perd ses repères.

Si l'humour et la poésie ont fait place dans les deux derniers documentaires, A Leak in Paradise s'inscrit dans un tout autre registre. Le film du journaliste et réalisateur belge David Leloup, sorti en 2015, raconte l'histoire d'un ex-banquier suisse, Rudolf Elmer, qui a travaillé quinze ans dans l'une des banques privées les plus importantes de la Suisse : la Julius Bär. Alors qu'il est vice-directeur de la filiale sur les Îles Caïmans, un des nombreux paradis fiscaux, sa vie va brusquement chavirer. Suite à des rivalités internes au sein de Julius Bär, Rudolf Elmer finira par être banni par le système par lequel il s'est forgé une carrière. C'est à partir de ce moment qu'il sera lanceur d'alerte en diffusant des informations via Wikileaks. C'est aussi le début d'une descente aux enfers. Il se battra contre la banque, contre l'évasion fiscale et contre la Suisse.

A Leak in Paradise (teaser w French subs) - Coming in 2015 from MILLENIUM FESTIVAL on Vimeo .

Le réalisateur qui s'est penché durant sept ans sur le sujet, raconte comment un pays peut mener une guerre contre l'un de ses citoyens dans le but de le faire taire. Mais au-delà d'un projet journalistique sur le très contesté secret bancaire suisse, David Leloup cherche à nous décrire toute la ténacité et la volonté d'un homme à tenir tête à tout un organisme étatique ou, comme dit Rudolf Elmer, à « prendre le taureau par les cornes ». Face à l'incertitude de notre monde, David Leloup nous rappelle que la menace pèse toujours sur nos démocraties et sur notre système social en défaillance.

Quatrième film de ce festival, Oncle Bernard – l'anti leçon d'économie a été réalisé par le réalisateur québécois Richard Brouillette. Tourné en mars 2000 dans les locaux de Charlie Hebdo , puis monté en 2015 après les attentats qui ont frappé le journal satirique et le protagoniste d’ Oncle Bernard , le film est une série d'entrevues avec Bernard Maris sur les concepts connus de notre actuelle économie. Avec son accent toulousain, son air décontracté et son franc parlé, Oncle Bernard, face caméra, détruit tous les dogmes de la pensée néolibérale. Véritable ouvreur d'esprit, il n'hésite pas à qualifier l'économie de science opaque qui a tendance à produire un jargon afin de dissimuler les intérêts des privilégiés de ce système. Quant au réalisateur, Richard Brouillette, il n'est pas moins outsider lorsqu'il choisit de tourner, à l'ère du digital, son film avec des bobines qu'il doit changer toutes les vingt minutes. À la pellicule s'ajoute le choix du noir et blanc qui rend intemporel le discours et la présence de l'Oncle Bernard.

Si le confinement a mis aujourd'hui à l'arrêt toute activité socio-culturelle, il a eu quand même le mérite, à l'aide de ces quelques films, de nous poser et de nous faire réfléchir sur notre avenir. Avec Recipes for Disaster qui parle du futur climatique et de All the Time in the World qui ouvre de nouvelles perspectives de vie, la question de la cohésion sociale dans un nouveau lendemain paraît plus que essentielle. A Leak in Paradise et Oncle Bernard exposant les méfaits de notre économie, posent les bases d'un futur combat à mener. Dans ce moment de crise, ces films résonnent en nous et nous font poser la question suivante : sommes-nous peut-être arrivés à une phase de notre époque où il serait plus que temps de tout réorganiser ?

Sont disponibles aussi depuis le 03/04 Eastern Memories de Niklas Kullström et Martti Kaartinen, depuis le 04/04 Ash and Money de Tiit Ojasoo et Ene-Liis Semper , et depuis le 05/04 How Big is the Galaxy ? De Ksenia Elyan

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