critique &
création culturelle

Living

À nouveau

Le réalisateur sud-africain Oliver Hermanus revient avec un 5e long-métrage. Adaptation britannique du film japonais Ikiru , Living est une belle surprise qui restera mémorable grâce aux splendides interprétations de Bill Nighy et Aimee Lou Wood.

En 1952, Mr. Williams (Bill Nighy), chef du département des travaux publics de la mairie londonienne, apprend qu’il a un cancer et qu’il ne lui reste plus que six mois à vivre. Une nouvelle qui vient perturber sa routine méticuleusement établie mais surtout qui réveille un homme qui ne « vivait » plus. Émerveillé et inspiré par l’optimisme et la joie de vivre de sa jeune employée, Mrs Harris (Aimee Lou Wood), Mr. Williams (re)découvre les petits bonheurs du quotidien et tente de (re)donner sens à sa (fin de) vie.

Si l’intrigue pourrait paraître quelque peu banale ou mélodramatique pour certain·es, Living s’avère être un drame étonnamment touchant, beau et authentique. Oliver Hermanus ( Moffie, The Endless River, Beauty ) signe ici une jolie adaptation du film japonais Ikiru (réalisé par Akira Kurosawa, 1952) - étant lui-même une adaptation du livre La mort d’Ivan Ilitch de Léon Tolstoï (1886).

Sublimée par les costumes et les décors londoniens des années 1950 et une alternance entre tons froids et chauds, la réalisation sobre se concentre surtout sur ses personnages. Grâce à l’utilisation quasiment constante de plans poitrine, qui ne laissent donc voir que le haut du corps des protagonistes (souvent un à la fois, les autres étant hors champ ou flous), Oliver Hermanus nous montre que ceux-ci, et ce qu’ils traversent, sont le cœur de son histoire. Choix particulier mais réussi grâce à un casting brillant.

Bill Nighy transperce l’écran avec une performance subtile mais poignante. Son duo avec Aimee Lou Wood (connue pour son rôle d’Aimee Gibbs dans Sex Education ) fonctionne à merveille. Armée de la même adorable naïveté qui faisait tout le charme de son personnage dans la série Netflix, l’actrice britannique signe un passage remarquable sur le grand écran. Le reste de la distribution (certes moins présente à côté du duo principal) éblouit également. Mention spéciale à Barney Fishwick, interprète de Michael, le fils de Mr Williams, qui partage une scène déchirante avec Mrs Harris ainsi qu’à Thomas Coombes, policier dont l’unique scène émouvra même les cœurs de pierre.

Chaque acteur·ice parvient à tenir le public en haleine dans un film sans suspens. Même en sachant ce qu’iels vont dire, on est pendu à leurs lèvres en attendant qu’iels parviennent à sortir les mots qui pèsent sur leur cœur. Cette difficulté à être vulnérable et honnête est peut-être bien la qualité la plus humaine de toutes, et la plus difficile à interpréter.

Ces performances ne seraient cependant rien sans les dialogues de Kazuo Ishiguro. Le scénariste et écrivain britannico-japonais, lauréat du prix Nobel de littérature en 2017, offre une réécriture chargée en britishness : le classique afternoon tea , les sorties au pub, l’excursion au Brighton Pier, mais aussi les manières, la courtoisie et la discrétion typiquement anglaises. Le film n’en perd pas pour autant l’universalité de son propos. La preuve en est : l’intrigue a traversé différents contextes socio-culturels au fil de ses adaptations, passant de l’empire russe dans l'œuvre de Tolstoï au Japon dans le film Ikiru pour finir cette fois en Grande-Bretagne.

Bien que Living nous emmène à Londres en 1952, les méandres administratifs et bureaucratiques de la mairie londonienne et l’égarement de Mr Williams dans son travail routinier ne peuvent que résonner à l’ère du capitalisme moderne, ultra-productiviste. Au fil de jours toujours plus semblables dans une institution où chaque département se renvoie la balle sans jamais traiter un seul dossier, Mr Williams, que Mrs Harris avait facétieusement surnommé Mr Zombie, y perd complètement son identité, devenant une pâle copie de lui-même, aliéné par les procédures répétitives de son travail.

Living met en lumière la volonté d’un homme de reprendre possession de lui-même et de laisser une trace sur le monde, même à l’échelle de quelques personnes. Kazuo Ishiguro et Oliver Hermanus signent ainsi un drame plein de tendresse dont la simplicité fait du bien, mais qui tient surtout grâce à ses magnifiques performances.

Même rédacteur·ice :

 

Living

Réalisé par Oliver Hermanus

Écrit par Kazuo Ishiguro

Avec Bill Nighy , Aimee Lou Wood , Alex Sharp

Royaume-Unis, 2022
102 minutes

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