critique &
création culturelle
On her Shoulders
la fureur de (sur)vivre

Le festival Millénium est le rendez-vous incontournable des amateurs de cinéma documentaire à Bruxelles. La onzième édition a eu lieu du 22 au 29 mars 2019. Son thème ? La consommation sous toutes ses formes.

Pendant une semaine, les spectateurs ont eu la possibilité d’assister à une septantaine de documentaires venus du monde entier. Ce 29 mars, de nombreux prix ont été décernés aux meilleurs films du festival. Parmi les primés, on compte Welcome to Sodom, Dark Eden, A Thousand Girls Like Me, Sheep Hero, Kayayo ou encore Inhabitants . Côté belge, Vacancy et The Way Back se sont démarqués et on peut noter qu’une jeune réalisatrice, Lou du Pontavice, a été récompensée à deux reprises pour ses films le Veilleur et les Sentinelles .

La cérémonie s’est ensuite clôturée avec la projection de On her Shoulders , film consacré à Nadia Murad, ancienne esclave sexuelle capturée par Daech le 3 août 2014. Ce jour-là, les djihadistes attaquent Sinjar, en Irak, où vivent les Yézidis. De nombreuses personnes meurent pendant que d’autres sont faites prisonnières ou soumises à l’esclavage sexuel. Parmi elles, la jeune Nadia, dix-neuf ans. Elle réussit finalement à s’enfuir et devient alors le visage des Yézidis. Déterminée à raconter ce qui s’est passé, Nadia devient ambassadrice de bonne volonté des Nations-unies pour la dignité des victimes du trafic d’êtres humains en 2016 et obtient le prix Nobel de la paix en 2018. Près d’elle se tient Murad Ismael, son ami, confident, et directeur de l’ONG Yazda, créée pour soutenir sa communauté à la suite du génocide de 2014. Amal Clooney, avocate spécialisée en droits humains, est aussi présente à ses côtés et profite de sa célébrité pour mettre en lumière la cause yézidi.

Dans On her Shoulders , réalisé par Alexandria Bombach, rien n’est dit sur ses conditions de détention, ni sur les circonstances de son évasion. Au contraire, la caméra se concentre sur l’après, c’est-à-dire sur le long parcours qu’elle a entrepris depuis qu’elle a retrouvé sa liberté. Nous découvrons donc Nadia dans les médias, dans les antichambres de l’ONU, dans des camps de réfugiés en Grèce ou encore en train de flâner dans un magasin, à la recherche de vêtements mais surtout d’une vie plus ou moins normale.

Le film a le mérite de montrer à quel point ses actions liées à son rôle de porte-parole s’enchaînent à un rythme infernal, et à quel point elle est courageuse de subir toujours les mêmes interviews. Chaque apparition médiatique lui est difficile et quand les journalistes lui demandent d’expliquer ce que ça faisait d’être « traitée comme un objet », il est évident que ce n’est pas facile pour elle de rester solide. D’un autre côté, on comprend que se consacrer à sa cause est aussi la seule façon pour elle de survivre. Il ressort du film qu’il y a deux Nadia. D’abord, celle qui vivait dans une communauté agricole yézidi et qui n’avait pas pour ambition de devenir une figure médiatique, jusqu’à ce qu’elle soit prise pour cible par l’État islamique. Ensuite, celle qui est aujourd’hui obligée de revivre ses expériences douloureuses, encore et encore, et qui est devenue malgré elle la porte-parole de tout un peuple. On her Shoulders ne raconte pas l’histoire de la première, victime d’un groupe de dangereux fanatiques, mais bien celle de la seconde, survivante qui essaie tant bien que mal de se reconstruire.

La principale qualité du film est de nous faire comprendre que le cauchemar de Nadia ne se terminera jamais, angle rarement emprunté dans les documentaires. Le titre, On her Shoulders , est très à propos, représentant parfaitement bien le poids qu’elle porte sur ses épaules au quotidien. Néanmoins, Nadia insiste beaucoup sur le fait que si elle a le courage d’être devenue cette porte-parole qu’elle ne voulait pas être, c’est pour sa communauté Yézidi. Elle ne veut pas qu’on lui demande « Que t’infligeait-on pendant ta détention ? » mais bien « Qu’en est-il des Yézidis aujourd’hui ? Quel est leur futur ? » Pourtant, le film n’en parle pas beaucoup. On aurait aimé en savoir plus sur eux et leurs conditions de vie actuelles.

Malheureusement, malgré un angle intéressant, On her Shoulders ressemble surtout à une succession de courts passages, donnant l’impression que rien n’est jamais réellement creusé. Par ailleurs, la réalisation est sobre et juste mais pas vraiment marquante. On en sort vide d’émotions et d’informations, avec un goût de trop peu dans la bouche. Sans remettre en question les bonnes intentions de la réalisatrice ni le message qu’elle veut faire passer, on est en droit de se demander s’il ne serait pas finalement plus judicieux de se plonger dans les mémoires de la principale concernée ( Pour que je sois la dernière ), parus l’année passée. Dommage, car avec une figure comme celle de Nadia Murad, on attendait un film vraiment marquant.

Même rédacteur·ice :

On her Shoulders

Réalisé par Alexandria Bombach

États-Unis, 2018

95 minutes