critique &
création culturelle
Mr Ed

Une plongée
dans un passé lointain,
la préhistoire
de ce qu’on n’appelait
pas encore
les sitcoms.

Année 1965 : mes parents n’ont pas encore la télévision et le dimanche, je vais souvent chez mon oncle, qui habite un sixième étage dominant l’avenue de la Toison d’or. Une vue inoubliable liée dans mon souvenir à l’étroitesse de l’écran de télévision encastré dans un meuble. Trois chaînes seulement à l’époque : RTB, BRT et ORTF (qu’on appelle alors souvent « Lille »). Sur cette dernière, une petite série déjà ringarde (on est quand même à l’époque de Batman , de Destination danger et de Chapeau melon et bottes de cuir ) : Monsieur Ed . Mes cousins et moi la regardons en attendant autre chose, je ne sais plus quoi, et finalement c’est ce feuilleton bouche-trou qui me reste en mémoire .

Monsieur Ed est un personnage inspiré des livres pour enfants d’un certain Walter R. Brooks et donnera lieu à une série de 143 épisodes de 26 minutes. Cheval mystérieusement doté de la parole, il appartient à un jeune couple d’Américains moyens, mais il a décidé de ne parler que lorsqu’il est seul avec Wilbur, le mari, ce qui entraîne une série de gags et de quiproquos. Le feuilleton va loin dans l’anthropomorphisme : Mr Ed est un cheval macho, assez vaniteux et très sarcastique. Il manifeste en outre quelques prétentions artistiques (chant, peinture).

Aucun épisode en français ne semble exister sur le net (la voix était celle, très déformée, du chansonnier Jean Amadou) ; par contre, YouTube affiche de nombreux épisodes en VO. Et l’on s’aperçoit que ce feuilleton bon enfant n’est pas mal écrit du tout, les répliques cinglantes du cheval ponctuant les malheureux efforts de son propriétaire pour tenter de mener une vie normale. Le feuilleton accueillera de nombreuses guest stars parmi lesquelles Mae West et le tout jeune Clint Eastwood.

Wilbur est incarné par le débonnaire Alan Jones , acteur de télévision au physique de sympathique gaffeur. Lorsqu’on demandera plus tard au producteur les raisons de ce choix, il répondra laconiquement : « Parce que c’est le genre de gars auquel un cheval adresserait la parole ! » Le feuilleton n’expliquera jamais pourquoi le cheval possède ce don singulier : à peine une allusion dans le pilote, épisode dans lequel Wilbur acquiert la maison où il découvre le quadrupède que les propriétaires précédents lui ont laissé (et que sa femme veut immédiatement vendre). Lorsque Wilbur avoue ne rien comprendre à cette extraordinaire faculté langagière, le cheval répond avec flegme : « Don’t try to. It’s bigger than both of us… »

Beaucoup de jeux de mots (« I heard it from the horse’s mouth », « She galloped out of my life »…), de situations drolatiques (crise d’identité de Mr Ed se demandant s’il ne descend pas d’un âne (possible allusion aux films mettant en scène « Francis, the talking mule » du même réalisateur), une satire de la petite bourgeoisie provinciale américaine . Le tout enrobé dans un humour bon enfant sans cynisme, ce qui, par les temps qui courent, est plutôt rafraîchissant.

Une remarque : redécouvrant Mr Ed sur YouTube, je constate que dans la série américaine, il y avait des rires enregistrés, ce qui n’était pas le cas de la version française. On pensait alors que chez nous, le public n’aimerait pas qu’on lui indique quand il fallait rire. Heureuse époque…

OK, Mr Ed n’a rien du chef-d’œuvre ni même de la série culte, ceci se voulait juste un petit salut au premier degré à une vieille sitcom disparue. Sans rancune et henni soit qui mal y pense.

Même rédacteur·ice :

Mr Ed

Créé par Walter R. Brooks
Avec Alan Young, Connie Hines, et Bamboo Harvester
États-Unis , 1961-1966, 28 minutes par épisode

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