critique &
création culturelle
Visages, villages
Bobines sur bobine

« AV pour Agnès Varda. JR pour JR. », informe le générique de fin du film Visages, villages . Le ton est donné. La malice assumée. Représentative du duo Varda-R qui irrigue de son génie ce documentaire artistico-social auquel se sont adonnés avec un plaisir évident ses deux protagonistes.

Œil d’or à Cannes cette année, Visages, villages témoigne de la vue vive, même si déclinante, de la grande-dame-petite, béquillée par le regard bienveillant du street-artiste-photographe-aux-lunettes-noires qui l’accompagne. Du haut de ses quatre-vingt-huit ans, elle a rencontré le trentenaire JR et a décidé de repartir sur les routes avec lui. Comme ça. Pour la beauté de l’escapade. Même si, vu son âge, l’escapade s’est étirée sur un an et demi, à raison d’une journée de tournage par mois. Même si on pensait tous que les Plages d’Agnès était son dernier film. Elle la première. Qui jure que celui-ci sera vraiment son dernier. Mais voilà, la rencontre avec JR, c’était plus fort que tout. C’était « le même goût de mettre des gens en valeur », de ces gens qui n’ont pas de pouvoir, des anonymes, qui n’ont pas l’habitude de la lumière et de l’écoute. Alors, les deux comparses ont promené leurs oreilles et leurs yeux sur la France profonde. Au gré de leurs trouvailles, de leurs envies, de leurs souvenirs. Grâce d’abord à la plateforme de financement participatif, kisskissbankbank, puis au relais pris par leur productrice, Rosaline Varda.

Œil d’or à Cannes cette année.

« Le regard c’est une attitude »

Du Havre au village de corons, de la plage de Saint-Aubin à l’usine de produits chimiques, de la fermière au facteur, de JR à JLG, le documentaire transporte le spectateur dans une valse humaniste  de rires et de larmes, se clôturant en pic de tristesse avec cette « peau de chien » de Godard, qui ne joue même pas le jeu, ou qui le joue trop bien…

Le sel du documentaire, c’est bien entendu l’interaction vivace entre JR et Agnès Varda. C’est, au-delà de leur belle complicité, de leur humanité, cette intelligence commune qu’ils ont et qui leur permet de rebondir sur tout comme des écureuils, sautillant d’idée en idée, réinventant à chaque fois leur périple et les sujets de leurs photos. Car il s’agit avant tout de photographie. JR a embarqué son aînée dans son van photomaton, qui leur permet de clicher les visages de villages, puis de les imprimer XXL et de les coller sur les murs alentours. Puis de saisir la réaction des modèles, confrontés à cette représentation d’eux-mêmes à la fois hors norme et intime. Qui sur sa grange immense, qui sur sa maison qu’elle refuse de quitter malgré la destruction programmée de sa rue, qui sur des containers de dockers.

Photographier et puis filmer

Il y a des scènes épatantes, comme ce bal de grues dans le port du Havre en grève disposant les photographies de femmes de dockers en un énorme puzzle de containers, ou comme ce portrait du photographe Guy Bourdin, « comme un enfant dans un berceau » sur la plage de Saint-Aubin, si chère à Agnès Varda et JR, ou comme cette apothéose pathétique à Genève où Godard se refuse à un documentaire d’anonymes où il n’avait de toute façon pas sa place. Varda lui pardonne parce que « le souvenir du bonheur, c’est encore le bonheur ». Et de se remémorer le bon temps avec Jean-Luc et Jacques et le « Qu’est-ce que je peux faire ? J’sais pas quoi faire » d’Anna.

En soixante ans de cinéma, elle « a appris des choses » quand même, sourit la cinéaste à la filmographie bien remplie, hantée par sa passion première pour la photographie. On retrouve d’ailleurs cette manie de confronter les modèles amateurs à leur portrait figé dans le papier glacé, pour glaner leur réaction à chaud, sans que cela soit toujours positif, et cet intérêt si pressant pour les gens, un intérêt que partage JR dont les projets photographiques à travers le monde, tout aussi teintés d’humanisme, répondent parfaitement à la démarche de Varda. Ces deux-là s’entendent comme larrons en foire. Le duo fonctionne. Et c’est cela aussi qui habite le film.

Le hasard guide leurs pas, comme souvent dans les films d’Agnès Varda, parce qu’ « il faut savoir attraper », parce que « si on leur fait confiance, les gens ont de l’imagination », sans jamais « avoir peur d’être cul-cul ou gnangnan », affirme la réalisatrice. Depuis Cléo de 5 à 7, la cinéaste a toujours su laisser la porte ouverte à l’inconnu sur ses tournages, y trouvant toujours un tremplin pour de nouvelles idées. Le lien vaporeux entre toutes ces escapades est renoué par la fameuse cinécriture d’Agnès Varda, qui a passé plusieurs mois au montage pour raccrocher ces wagons aléatoires à sa voix off émouvante et à celle de JR, moins à l’aise dans cet exercice. Là aussi, la patte de la réalisatrice se fait sentir, dans la réécriture par le montage des plans filmés. Le but du duo : « permettre au spectateur d’être ému alors qu’il n’y a pas de suspense, de revolver ou de vaisseau spatial ».

Et… comment dire… ça fonctionne du tonnerre.

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Visages villages

Documentaire réalisé par Agnès Varda et JR
France , 2017
89 minutes