Bruxelles, mars 2021

Madame,

Désolée de ne pas vous avoir adressé la parole auparavant. Nous en avons eu du temps, des occasions, des rencontres, des moments pour le faire, mais visiblement je n’étais pas prête. Je suis restée si seule qu’il est devenu impossible d’éviter de vous voir, de vous toucher, d’avancer l’une vers l’autre.

Vous êtes souvent venue me chercher dans cet appartement que j’ai décoré avec beaucoup de vie. Vous m’avez rappelé que les fleurs sur le papier peint n’étaient qu’une faible illusion, les couleurs qu’un soupir d’extase, les bougies d’une caresse artificielle.

Vous êtes venue quand j’ai monté les escaliers de cette maison avec les pieds de plomb, quand j’ai ouvert et fermé le frigo, quand j’ai laissé la vaisselle plongée dans l’eau. Vous m’avez accueillie quand les larmes étaient froides et contagieuses. Vous avez avancé quand les autres dormaient, quand le chien ronflait. Vous étiez avec moi sous la couette, devant les écrans constamment allumés, entre les pages des livres que je n’ai pas lus.

Nous nous sommes revues souvent quand, après quelques mois, je n’avais plus de choses à photographier, rien à imaginer, à écrire ou à penser. Dans ces moments-là, j’aurais accepté d’être emportée sans hésiter. Où serions-nous allées ? Nous n’avions jamais aussi longuement conversé.

Tous les matins, nous nous sommes croisées devant ce thé chaud au citron. Finalement, nous nous sommes laissé du temps, et donné rendez-vous un autre jour. Cette tasse de thé est le lieu où nous aurons vécu, et cette image, la seule qui survivra.

Anna