Daphné Tamage, avec son premier roman tout juste paru aux éditions Maurice Nadeau, À la recherche d’Alfred Hayes , explore avec cynisme les rêves d’accomplissement sans cesse chamboulés d’une jeune autrice en devenir, prise dans une Belgique de grisailles et de déceptions.
Apolline Avenarius a un rêve : devenir auteur et décrocher la gloire et la lumière. Son sujet d’écriture est tout choisi : Alfred Hayes, romancier, poète et scénariste américain, pour lequel elle voue un intérêt déterminé, une envie de ressemblance peut-être. Elle se lance dès lors dans les démarches et les remous administratifs pour l’obtention d’une bourse, afin d’acquérir un temps confortable et tous frais payés pour lancer ses recherches. Pour l’aider, elle pourra compter sur Pierrot, un prof de fac plein d’arrière-pensées, ou encore Hank, un écrivain flamand à la verve acérée.
« J’avais trouvé le livre de Hayes sur la pile fourre-tout de la libraire, l’équivalent de la tringle des vêtements dont personne ne veut. Personne sauf moi. Les auteurs au rebut, les difficiles, les morts sans mémoires, ceux qu’on n’offre pas, qu’on ne partage pas, ceux dont on se fout, ceux de la pile à-remettre-en-rayon. C’était un pressentiment rare mais limpide. Hayes était fait pour moi. J’ai payé le livre sans l’ouvrir. Assise face au lac de la ville-monstre, j’ai lu d’une traite comme ma mère buvait son mezcal : rapide, efficace, bientôt ivre. J’étais tombée amoureuse. »
Si Apolline débute le livre à Rome, qu’elle y retourne par après et finit même par partir à Los Angeles sur les traces d’Alfred Hayes, les promesses de dépaysements géographiques sont en grande partie balayées par l’ancrage prononcé du livre en Belgique ; ce qui aura pour mérite de servir au mieux le propos chagrin des rêves en constantes brisures d’un auteur en devenir. On comprend en effet que ce n’est pas la recherche d’Alfred Hayes qui se trouve au centre de l’intrigue, mais bel et bien Apolline et sa quête d’elle-même ; une odyssée aux périphéries administratives, stagnant entre Bruxelles, le terrain vague où vit sa mère, et la ville monstre1 . Des lieux qui contrastent sans cesse avec cet idéal de l’ailleurs, où l’on pourrait trouver là-bas la fuite ou la solution à ses problèmes d’ici.
« Je me sentais comme la pièce d’un puzzle qui refuse de faire entrer ses membres dans une découpe qui n’est pas la sienne. »
Sans en être le propos principal, on peut percevoir en filigrane du roman les saveurs nauséeuses d’un patriarcat présent dans les sphères académiques et artistiques, pleines d’entre-soi, même si en majorité féminines. Le rêve d’ auteur d’Apolline n’est après tout pas un rêve d’ autrice 2 , et sa dépendance aux hommes poisse l’ensemble de ses pérégrinations, malgré la prétendue liberté qu’elle revendique dans ses relations. Entre la paperasse à remplir et les demandes de bourse éconduites, si l’héroïne trouve toujours un moyen de retomber sur ses pattes, c’est en s’accrochant ou se laissant accrocher par l’un ou l’autre homme.
« Ils m’ont à peine regardée. Elles. Le comité était exclusivement féminin. Par expérience, je savais que ça ne jouerait pas en ma faveur. La sororité, c’était un concept de sorcières. Les dames alignées en face étaient trop rugueuses et trop lasses pour être petites-filles de sorcières. »
Daphné Tamage signe un premier roman à l’écriture déliée, sucrée et prenante. Une intrigue qui se déroule avec facilité, entre les décors installés en peu de mots et les dialogues aux répliques pleines de vérité. Des personnages nuancés, à aimer et/ou à détester, s’inscrivant dans une peinture du monde cynique, pessimiste, rehaussée heureusement par une note d’espoir finale.