critique &
création culturelle
Au large de Benjamin Myers
Notre mer du Nord, bouleversante

Benjamin Myers nous emmène, grâce à une plume magnifiquement poétique, sur les traces d’une (re)naissance. Dans son roman Au large , il nous laisse découvrir, grâce à ses personnages hauts en couleur, les valeurs essentielles de la vie que sont la nature, l’amitié et l’envie.

Le jeune Robert a seize ans lorsque, au lendemain de la guerre, il décide de quitter son foyer. Fuyant la vie tracée par ses parents, il se lance dans un voyage à travers l’Angleterre, décidé à atteindre la mer et à découvrir de nouveaux horizons. Le travail à la mine, le charbon, la faim et le froid du Nord, très peu pour lui. Quittant les sentiers battus, il entame un voyage qui s’annonce sans retour. Suivant ses pas, nous découvrons les pensées, les peurs, les joies de ce jeune homme tendre et affectueux, affamé de vivre. Traversant son pays, il prend aussi conscience de sa propre personnalité, de son intériorité bouillonnante. Sa rencontre avec Dulcie, vieille femme mystérieuse et solitaire, le confronte à un nouveau monde qu’il soupçonnait à peine. Avec ce roman initiatique et picaresque, Benjamin Myers nous ouvre le chemin du cœur des Hommes, découvrant avec virtuosité les bonheurs et les peines de deux êtres que tout oppose.

Aucun poète ne devrait être célèbre… il devrait simplement être lu.

Benjamin Myers est un auteur anglais vivant dans la campagne du Yorkshire. Il s’inspire souvent de sa région pour écrire et n’en est d’ailleurs pas à sa première œuvre. Romancier, essayiste et poète, plusieurs de ces romans ont déjà été traduits en français, comme notamment Dégradation (2018) ou Noir comme le jour (2020). En commençant ce livre, j’ai tout d’abord été effrayée par la densité de la plume de l’auteur. En effet, celui-ci possède un style certes poétique et riche, mais qui peut parfois s'avérer lourd et laborieux à déchiffrer. Durant les premières pages, il m’a été difficile de rentrer dans l’histoire, de me laisser porter par celle-ci tant le déchiffrage me demandait d’efforts. Après quelques dizaines de pages pourtant, la magie a enfin semblé opérer. Robert, jeune protagoniste de notre histoire, s’avère particulièrement touchant. À travers son voyage, clairement peu impressionnant mais intense d’émotions, il nous emmène et nous fait découvrir son intimité, l’évolution de son corps et de son cœur. Vivant une adolescence troublée, à la sortie de la Deuxième Guerre mondiale, le jeune homme nous charme par ses combats, par sa soif d’aventure et de vie, son envie de bonheur envers et contre tout. Certes, au départ, la plume de l’auteur peut apeurer, mais finalement, par sa richesse, elle parvient à entraîner le lecteur et à créer une véritable rencontre psychologique avec les personnages.

Une présentation incorrecte et hors contexte risque de t’en dégoûter à vie, alors qu’un bon poème ouvre la coquille de l’esprit comme on écaille une huître pour révéler la perle qu’elle renferme.

Ceux-ci sont d’ailleurs peu nombreux mais très bien construits. Robert rencontre Dulcie, et entre eux une amitié touchante débute. Si tout les oppose, ils parviennent malgré tout à construire une relation, s’apportant d’un côté de nouveaux savoirs et de l’autre une sensibilité retrouvée. Tous deux nous charment et sont attachants à leur manière. Robert, qui ne parvient à se résigner à travailler comme son père avant lui dans la mine, nous séduit par sa jeunesse, son esprit frais, son goût pour le monde. De son côté, Dulcie, femme mûre et mystérieuse, nous attire par son franc-parler, ses connaissances en gastronomie et en littérature, et sa volonté de transmettre. Chacun à son tour nous envoûte et nous sommes finalement ravis de passer un instant avec eux.

À en croire l’adage, une bûche te réchauffe trois fois : quand tu lui mets un coup de hache, quand tu la portes et quand tu la brûles.

Grâce à sa plume chargée de poésie, Au large nous offre un panel riche d’émotions diverses : de la joie à la tristesse, en passant par l’espoir et son inverse. Benjamin Myers recentre son lecteur sur les choses importantes de la vie, celles qui semblent anodines mais valent de l’or : l’amitié, la poésie, le jardinage, la mer du Nord et cette nature qui nous entoure. Il parvient à faire vivre cette dernière, la faisant avancer et reculer au fil des saisons, telles les vagues s’échouant sur la rive.

Laisse la poésie, la musique, le vin et le romantisme te servir de boussole. Laisse la liberté avoir le dernier mot.

Véritable ode à la vie, racontant l’après-guerre où il semble parfois difficile d’imaginer une suite, l’histoire nous touche encore plus dans ce contexte particulier, celui d’une pandémie, d’un réchauffement climatique, d’une guerre. Elle nous montre la nécessité de revenir à l’essentiel, de redécouvrir son for intérieur et ses valeurs, de s’attacher à celles-ci coûte que coûte, tel le jeune Robert au cœur d’ Au large .

Si au départ je n’étais donc pas convaincue par la plume de l’auteur, j’ai finalement été séduite par sa poésie et l’histoire qui, une fois les premières pages passées, se dévore d’une traite.

Même rédacteur·ice :

Au large

Benjamin Myers

Traduit de l’anglais par (Grande-Bretagne) par Madeleine Nasalik

Seuil, 2022

272 pages