Avec Au Soleil la Nuit , les éditions MaelstrÖm promettent « le premier thriller policier de Rose-Marie François ». On est pourtant bien loin du genre à suspense, avec une œuvre plutôt contemplative qui fait la part belle à la poésie et à l'amour du langage.
À l’été 69, Marie-Anne et Marie-Jeanne, deux jeunes enseignantes et amies inséparables, partent chacune en voyage dans des directions opposées. Cap sur le Sud et le Sahara pour la première, tandis que la deuxième décide d’explorer seule l'extrême-nord de la Suède. Marie-Jeanne ne reviendra pas vivante de son voyage. Marie-Anne devra alors, aux côtés de l’inspecteur Pär Hakansson, se mettre en quête de la vérité à travers les écrits de son amie...
L'introduction du roman promet une plongée dans l'Europe libérée des années 60, au temps des Beatles, des hippies et de mai 68. Un époque où les téléphones étaient tenus en laisse et les femmes encore souvent assignées à résidence. Cependant, le lecteur qui aborde ce roman avec la perspective d'un voyage dans le temps risque bien d'être déçu. L'autrice, en effet, plante à peine le décor, et les références culturelles, politiques ou contextuelles sont bien rares. On devine l'époque plus qu'on ne la vit, à travers quelques allusions sur le droit à l'avortement ou le mariage. Le récit aurait finalement pu se dérouler de nos jours, ou vingt ans plus tôt.
De la même manière, la promesse d'un roman policier peut prêter à confusion. L'intrigue relativement simple sert surtout de cadre à l'autrice pour exposer, à travers les conversations entre Marie-Anne et Pär, diverses réflexions poétiques et philosophiques. Dans ce scénario plutôt contemplatif, le rebondissement majeur (et presque unique) n'arrive qu'après le milieu du roman, et la résolution de l’intrigue importe finalement très peu au lecteur.
Hors du temps, hors de tout décor ou contexte historique, la force du récit est indubitablement son trio de personnages. Ce sont leurs personnalités et leurs relations qui colorent le roman, donnant à cette enquête policière sans réel suspense une portée philosophique.
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Marie-Anne, j’ai repensé à ces passages en italique. Peut-être devrions-nous un jour les relire ensemble. Contrairement au reste, ils sont à la troisième personne, l’histoire d’une certaine Ghislaine. Cela te dit quelque chose? Une amie de Marie-Jeanne?
― Non. Je ne vois pas…
― Ce que l’on barre en écrivant, c’est peut-être ce que l’on omet quand on raconte un rêve: l’essentiel?
― Je ne sais pas, je ne dis pas cela, je n’y connais rien. Tu as lu Freud, toi?
― Un peu. Car je ne veux pas d’une médecine trop… technique? Comment dire. Trop... techniciste? Attends. Regarde, on ne va pas tout reprendre. Il suffit sans doute de voir où les passages sont… entre… tressés…
― Intercalés.
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Voilà. Intercalés. Pleins de brisures. De ruptures, d’inter… ruptures.
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D’interruptions, c’est cela.
― Marie-Jeanne raconte deux fois la même chose. À la première personne, la réalité. À la troisième personne, la… oui, la vérité pourrait-on dire.
― Là, elle renonce à la fiction.
― Qu’elle a cependant introduite d’emblée, emmêlée au… journal intime.
― Comme si elle était d’abord tentée de confondre ‘je’ et ‘elle’, puis refusait de les prendre ensemble.
― Comme l’illusion d’opter pour la poésie contre la narration. Les deux ensemble, c’est l’épopée, non?
« Peut-on écrire de la fiction sans parler de soi ? » s'interroge Marie-Anne. Difficile en effet de ne pas voir dans ce personnage principal un rapprochement avec le vécu de l'autrice. Marie-Anne est professeur de langues, polyglotte, avec une fascination pour la culture suédoise. Une évidence, un miroir peut-être, pour Rose-Marie François, cette universitaire qui a dans la tête une quinzaine de langues. Les passages parfois déroutants de la première à la troisième personne contribuent à renforcer cette perméabilité entre écrivaine et héroïne.
Son alter ego, Marie-Jeanne, nous est quant à elle présentée à travers ses écrits. Dans un choix narratif assez original, Rose-Marie François propose en effet un ensemble de nouvelles écrites par la victime, que sa meilleure amie et l'inspecteur passent en revue afin de percer le mystère de sa disparition. C'est à travers ces courts textes de fiction que Marie-Jeanne, artiste passionnée passée sous l'emprise de son époux et de sa belle-famille, se dévoile au lecteur. L'autrice explore ainsi les thèmes des violences conjugales et psychologiques, ainsi que du rapport à la maternité.
Enfin, venant compléter le trio, l'inspecteur Pär Hakansson vient raviver auprès de sa meilleure amie le souvenir de la défunte. Au fil de son enquête et de ses conversations avec Marie-Anne, il apporte sur la vie d'épouse soumise de Marie-Jeanne un point de vue venu du Nord progressiste, mais aussi empreint de subjectivité... Difficile cependant d'en dire plus sans dévoiler le reste de l'intrigue.
Au Soleil la Nuit n'est donc pas de ces romans policiers que l'on dévore d'une traite tant le suspense est insoutenable. C'est plutôt une œuvre poétique qui se découvre peu à peu, nouvelle par nouvelle, dont une lecture lente permettra d'en apprécier pleinement les subtilités.