critique &
création culturelle
Caillasses de Joëlle Sambi
Du militantisme poétique

Caillasses est un recueil de 35 poèmes sortis des tripes de Joëlle Sambi. C’est l’affirmation de l’identité de l’artiste, un regard forcé sur l’Histoire et ses répercussions, ainsi qu’un appel à la tolérance.

35 poèmes composent ce recueil synonyme de poing levé. « Je ne peux concevoir l’art en dehors d’un ancrage politique, je le pratique et l’accompagne donc toujours d’une réflexion qui m’amène à douter de tout, à déconstruire constamment, à creuser de nouveaux idéaux et à chercher le lieu de l’apaisement. La paix est un luxe, il n’y a pas d’accalmie. » a clarifié la poétesse dans l’avant-propos.

L’ouvrage pourrait s’écouter, il est substitut d’un micro. Joëlle Sambi vient du slam mais de ce dernier à la poésie, elle ne fait qu’un demi-pas. Ça rime souvent mais ce n’est pas ça qui importe. Ce qui est recherché c’est surtout le rythme. Les poèmes se lisent comme ils pourraient être déclamés.

« Ils disent que nos seules présences dans la rue / le métro / les stades / les bars et les cafés / les bureaux, les hôpitaux / les parlements et les maternités / nos seules présences sont de trop ».

N’en déplaise à certains, l’écriture de Joëlle Sambi est politisée et destinée aux personnes opprimées, racisées, de la communauté LGBTQIA+ dont elle-même est issue, aux pauvres, aux féministes, aux progressistes. En tant qu’autrice, poète, slameuse, femme racisée et militante féministe, elle s’adresse à ses communautés tout en mettant ses oppresseurs en garde : « Ce n’est plus à nous de nous taire / À eux de le faire ».

Sans faux-semblant, l’auteure utilise des mots crus, qui dérangent car elle est consciente qu’il n’y a que ce qui provoque la bienséance qui résonne en l’Être Humain.

« Parce qu’il n’est désormais plus question qu’ils parlent à notre place / Plus question qu’ils décident pour nos ventres, tranchent nos salaires / Plus question qu’ils nous disent quelles lèvres embrasser / Quels corps enlacer / Quelles chattes lécher ».

Il y a les mots qui dérangent et il y a des passages de l’Histoire qui gênent tant ils font souvent l’objet d’une ellipse narrative. Quand la poétesse couple les deux, elle met le doigt où ça fait mal et insiste sur la plaie : « Avant nous étions des bêtes de somme, animaux apathiques, pas très travailleurs, un peu durs d’oreille. Il fallait lacérer nos dos à coups de chicotte, couper quelques mains pour que ça avance. Le progrès n’attend pas en Europe. » Si l’artiste sait mettre des mots sur les liens intimes entre le Congo et la Belgique, c’est parce qu’elle est née à Bruxelles en 1979 mais a grandi à Kinshasa suite au divorce de ses parents. Ce n’est qu’en 2001 qu’elle revient dans la capitale de l’Europe.

35 poèmes composent ce recueil dont le titre prévient « qu’il n’y aura pas de place pour une langue hors sol », comme le souligne Lisette Lombé dans l’avant-propos. On trouve la caillasse dans les zones où on exploite la roche. Avant même d’ouvrir le recueil, c’est sans langue de bois que Joëlle Sambi compare les corps des personnes soi-disant non-désirées à des bris de roche. Et à la fin, comment ne pas être pris de colère ? Colère face au racisme, colère face au viol, colère face à l’homophobie, colère face au patriarcat, colère face à l’esclavagisme. Colère face à ce qui gangrène la société dans laquelle nous sommes censés nous épanouir. Si l’euphémisme n’est définitivement pas convié, c’est pour que les battements de cœur du lecteur se calquent sur le rythme des mots tranchants qui ne sont que le reflet de la triste réalité. Joëlle Sambi a parfaitement réussi à partager ses frustrations en un ouvrage bel et bien synonyme de poing levé.

Caillasses

De Joëlle Sambi
L’arbre de Diane, 2021
111 pages

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