Après la diffusion de ce documentaire, une table ronde animée par Mariane Cosserat (directrice d’Entrez lire) a réuni Pierre Vanderstappen (conseiller littéraire au Centre Wallonie-Bruxelles, Paris), Lucie Cauwe (journaliste au Soir ), Benno Barnard et In Koli Jean Bofane (auteurs belges), et Françoise Wuilmart (fondatrice et directrice du Collège européen des traducteurs littéraires de Seneffe). Durant une heure et demie, les invités ont échangé leurs points de vue sur la perception de la littérature belge hors de nos frontières.

Comme le signale David Van Reybrouck dans le documentaire, il faut aller au-delà des clichés, la Belgique, ce n’est plus le surréalisme . Mais alors, la littérature belge, qu’est-ce que c’est ? Wat is dat ? Est-il possible de la caractériser par son style, par son verbe, par les thèmes abordés ? Vaste question dans un pays qui cherche encore à se définir, ne lit pas ou peu ses écrivains à l’école et ne transmet pas ses histoires aux générations futures. Plutôt que la littérature belge, il semble que ce soit surtout la nationalité d’auteurs et de livres déjà bien connus d’eux qu’ont découvert les festivaliers de Saint-Malo. Le premier problème, pour identifier la littérature belge, serait donc ce manque de visibilité. Les auteurs belges écrivent en français, beaucoup d’entre eux publient dans des maisons d’édition françaises, vivent parfois en France et ont des références évidemment proches de celles de la culture française. Bref, ils ne se démarquent pas suffisamment pour être remarqués.

Ce manque de visibilité est-il voulu ? Les auteurs belges chercheraient-ils à se faire plus français qu’ils ne le sont, à cacher leur origine ? C’était vrai au cours du siècle passé, comme le rappelle Jacques De Decker : Dans les années 1950 ou 1960, on écrivait des livres pour amadouer des maisons d’édition parisiennes. De nos jours, par contre, il semble y avoir un effet de mode belge en France, sensible dans la sphère culturelle en général, et dans la littérature en particulier.

Être belge, une plus-value ? Ce n’est pas si simple. Légèrement différente de la littérature française, la littérature belge francophone vit dans son ombre, dans sa périphérie proche. Elle n’est pas assez éloignée pour être exotique, comme au temps de ces néerlandophones qui, comme Émile Verhaeren, écrivaient en français. Vivre dans la périphérie d’une grande culture n’est pas toujours facile. La littérature belge francophone est une littérature au pluriel, où chaque écrivain perçoit de manière individuelle sa relation à la Belgique. Et si tout écrivain aspire à l’universel, à s’élever au-delà des frontières, son pays laisse des traces indélébiles dans son œuvre.

La littérature belge se dévoile par ses contrastes avec la littérature française et le corpus culturel français. En France, la tradition littéraire a des stratifications profondes. Sa culture, son passé, ses grands classiques sont un héritage parfois lourd à assumer pour un auteur. L’écrivain belge a pour lui la jeunesse de sa culture, sa liberté par rapport au passé et à la langue. Il a devant lui un champ vierge où il peut expérimenter, développer son imaginaire et jouer comme il l’entend avec la langue. Il est le provincial qui essaie de réussir dans la capitale, celui qui n’a rien à perdre, qui est là pour conquérir Paris. La littérature belge a une image à construire à l’étranger, pour l’aider à se positionner sur le marché mondial de l’édition. Nous vivons dans un monde où jamais autant de livres n’ont été publiés, mais où l’espace médiatique se réduit, et où la probabilité pour un livre d’arriver entre les mains du lecteur est mince.
Pour faire connaître notre littérature, les éditeurs belges jouent un rôle fondamental. Pour un auteur, ils représentent souvent la première chance d’être publié, de passer la frontière et d’être lu ailleurs. Comme le dit Pierre Vanderstappen : La France est un grand phare qui nous éblouira toujours, mais nous n’aspirons pas à nous y fondre. La littérature belge a ses spécificités et ses qualités qu’il faut faire connaître pour que l’on évite de nous parler à l’avenir d’un « nouveau Simenon belge ». Et sur ce point, le débat a rappelé l’importance de la traduction comme outil de diffusion au-delà de nos frontières.

Pour écouter la carte postale sonore, le débat à Passa Porta, et les autres tables rondes qui ont eu lieu à Saint-Malo sur la littérature et la culture belges, consultez les site de Poésie à l'écoute et d' Étonnants voyageurs

Cet article est précédemment paru dans la revue Indications n o 395.