En attendant Bojangles , roman écrit par Olivier Bourdeaut en 2016, nous emmène sur la route de l’émotion avec brio. Après avoir reçu plusieurs prix, il est adapté en roman graphique par Ingrid Chabbert et Carole Maurel en 2017, avant d’être très récemment mis sous la forme d’un film par Régis Roinsard. Qu’importe sa forme, l’histoire trouve son chemin pour venir nous toucher.
Dans son roman, Olivier Bourdeaut nous présente l’histoire d’un petit garçon qui observe ses parents, fous amoureux. Accompagné de son oiseau de Numidie, Mademoiselle Superfétatoire, il décrit avec ses yeux d’enfant la vie décalée, sur le fil, de ses parents voguant entre soirées mondaines, voyages en Espagne et excentricités. Dans ses oreilles résonne « Mr. Bojangles », chanson de Nina Simone, que sa mère ne cesse de mettre en boucle. Dans cette folle danse, il est emporté. Cette mère qui donne le ton, figure singulière de sa vie, semble une tâche criante de couleur dans un monde gris. Parfois, pourtant, à force d’être fou d’amour, on finit par tomber.
Si nous continuons comme ça nous allons nous écraser contre votre folie.
Ce roman magnifique trouve son originalité dans sa narration. Décrite du point de vue de l’enfant, l’histoire d’amour parentale n’en tire qu’une plus belle saveur. À travers les yeux innocents du jeune garçon, la relation déjà fusionnelle et inimitable devient encore plus magique. Les émotions sont très justement transmises et nous emportent crescendo, grâce à la plume de l’auteur. Mélodieuse et poétique, celle-ci parvient à extraire de moments anodins des images spectaculaires.
Je mentais à l’endroit chez moi et à l’envers à l’école, c’était compliqué pour moi, mais plus simple pour les autres.
Une belle fluidité accompagne la lecture, ce qui ajoute encore à la qualité de l’histoire. En réussissant, grâce à cette limpidité, à rester plongés dans l’histoire, nous sommes au plus près des émotions. Aucune figure de style pompeuse n’entache ce beau récit. Olivier Bourdeaut parvient très justement à doser ses effets.
Avec ses 159 pages, le roman reste court, ce qui se révèle aussi un moyen de toucher chacun d’entre nous, les plus aguerris comme les occasionnels lecteurs. Cela résulte en une histoire tendue, suspendue dans le vide, qui ne laisse aucune place au relâchement pour permettre à l’émotion de nous toucher de plein fouet.
Face à cette famille que nous rencontrons, qui choisit de vivre sans retenue et sans règles, nous sommes tous bien pâles. Ce couple unique offert à nos yeux d’enfant curieux dépasse toutes les autres histoires d’amour, les rendant légères et ridicules.
Cette histoire spéciale a ensuite eu l’occasion d’être adaptée sous la forme d’un roman graphique. Cette forme nouvelle, encore plus courte que la précédente, a évidemment nécessité certaines concessions.
Tout d’abord, le pari semble réussi. Ingrid Chabbert et Carole Maurel parviennent à cibler les moments importants du livre, à conserver l’essence de l’histoire de cette famille déjantée. Les dessins, colorés, aux traits précis, rendent cette ambiance survoltée dans laquelle évoluent les personnages. Le texte lui-même retrace les points vitaux du récit. Il aurait bien sûr pu être encore plus proche de l'œuvre d’Olivier Bourdeaut, mais en gardant son âme, il ne le trahit pas.
Ce roman graphique se révèle donc comme une très bonne manière d’introduire l'œuvre aux amoureux de la bande-dessinée. Malgré tout, les émotions ne peuvent infuser à l’intérieur du lecteur, y décanter et perturber ses sens. Alors que le roman pouvait faire couler quelques larmes aux âmes sensibles, le roman graphique ne semble pas de ce niveau d’intensité. Le dessin, avec son tracé simple et clair, peut-être trop, n’offre pas la même qualité que le style de l’auteur.
Enfin, en ce début d’année 2022, Régis Roinsard nous permet de découvrir cette œuvre adaptée sur nos écrans de cinéma. Réunissant de très bons acteurs et actrices comme Romain Duris ou Virginie Efira, l’affiche promet déjà de grandes choses au cinéphile en herbe se précipitant en salle. Sans surprise, Virginie Efira parvient à saisir l’essence du personnage de la mère et à nous offrir un torrent d’émotions, nous précipitant du haut vers le bas sans ménagement. À son tour, Romain Duris confirme son talent dans le rôle du père, il transperce l’écran et porte le film sur ses épaules, accompagné d’acteurs forts comme des piliers. Le petit garçon, Solàn Machado-Graner, joue très bien un rôle qui n’a rien d’évident. De son jeune âge, il parvient à nous émouvoir, tout comme Grégory Gadebois qui, dans le rôle plus discret de l’Ordure, parvient à s’imposer et à incarner son personnage. Ces quatre acteurs splendides ancrent et portent le film avec une grande force, et donnent à cette adaptation son caractère réussi.
Le miroir est plus objectif, il juge vraiment, parfois cruellement, mais sans mettre d’affectif.
Au début du film, alors que nous n’avons pas encore eu le temps de nous imprégner de son univers, certaines scènes peuvent sembler fausses. La réalisation nous met face à un monde nouveau, contenant des personnages loufoques, sans nous autoriser un temps d’adaptation, d’acclimatation. Très vite pourtant, nous entrons dans l’histoire et cette sensation se résorbe d’elle-même. Il aurait peut-être été plus judicieux d’offrir au spectateur un univers volontairement décalé, tel celui de Gatsby le Magnifique de Baz Luhrmann. De cette manière, la réalisation aurait suivi le caractère original des personnages et aurait alors pu correspondre à leur logique.
L'œuvre nous plonge dans les années 1960 et parvient malgré tout à aborder des sujets contemporains comme la santé mentale. Les émotions, comme dans le livre, vont crescendo et transpercent le spectateur. La plupart de ceux présents dans la salle sortent la larme à l'œil, profondément touchés par cette belle œuvre, unique et forte, prestée de manière splendide par des acteurs géniaux.
Le livre, en tant qu'œuvre originale, et sa très bonne adaptation au cinéma parviendront sans peine à vous toucher en plein cœur.