critique &
création culturelle
Essai sur la juridicité du droit

Magic , le dernier ouvrage de Laurent de Sutter, vient de paraître aux Presses universitaires de France. Un texte surprenant qui a le mérite de renouveler un sujet quelque peu poussiereux.

Laurent de Sutter

Une œuvre déroutante que ce court traité, fraîchement paru aux Presses universitaires de France. L’occultisme et la magie au service de la philosophie première, à moins que ce ne soit l’inverse ; à quoi il nous conviendrait encore d’ajouter le droit, la sociologie, la linguistique, la théologie et les sciences politiques, des plus archaïques ou réputées telles aux plus contemporaines. La multiplicité bigarrée des références est assumée, de même que la profession de foi encyclopédique (syncrétique ?) de l’auteur qui les sollicite tout du long en prenant soin pour chacune d’en exploiter la cohérence secrète jusqu’à une éclatante conclusion, faisant la part belle à la différence comprise comme moteur d’une créativité ontologique érigée en principe pour le droit.

Mais ne court-circuitons pas de sitôt l’ouvrage et venons-en plutôt au problème qui en motive l’essentiel du propos. Problème qui au fond se laisse aisément définir comme celui de la fondation du juridique et de sa nécessité, et que j’annonçais, en titre, sous la forme apparente du pléonasme comme celui de la « juridicité du droit ». Le droit est-il nécessaire et, le cas échéant, d’où tire-t-il cette nécessité ? De quelle nature est-elle ? Quel champ d’applicabilité lui reconnaître ? Dans quelles limites ? Un questionnement certes classique et qui de ce fait ne devrait probablement pas dépayser, pour autant bien sûr qu’on en reste à ce stade. Car si le terrain est effectivement archi-connu des philosophies du droit, le relief en revanche qu’il y prend sous la plume de Laurent de Sutter ne manque pas de surprendre de par la singularité et la robustesse de sa démonstration.

Montesquieu

Sans vouloir entrer trop en avant dans le détail du cheminement historique qu’il emprunte, disons au moins ceci que, si le problème se pose avant tout à partir du Contrat social de Rousseau, c’est pourtant bien à Montesquieu que l’auteur nous renvoie pour poser son hypothèse de départ, la définition du juridique sur laquelle il s’appuie et qu’il s’agira par la suite de justifier et d’approfondir. Le juridique, nous dit-il, est « la science de tous les rapports, de tous les liens qui peuvent se nouer entre les êtres, quels qu’ils fussent, à condition cependant que ces liens ou rapports soient nécessaires ». Parmi les conséquences immédiates d’une telle définition, notons au moins celle-ci qu’elle participe à l’illimitation du concept de droit dès lors qu’elle permet de renouer avec sa dimension proprement métaphysique, établissant un juridique de la nature qui ne présumerait nullement des termes qu’il lie ou peut lier de manière nécessaire.

Cela établi, encore faut-il identifier avec précision d’où provient cette nécessité des liens juridiques et en déterminer l’exacte nature. Si en effet on accorde aisément à l’auteur sa définition du droit comme ce par quoi deux êtres peuvent se lier et s’obliger mutuellement, la nécessité de ces liens quant à elle reste toujours en suspens. C’est là que, par une pirouette assez remarquable, le philosophe opère à contre-courant de la pensée moderne un retour au droit romain et à la pensée magique qui en est selon lui indissociable . Une longue étude de la pratique romaine du nexum lui permet en effet d’illustrer comment le droit parvient à tisser un lien nécessaire entre individus grâce à une série de conséquences auxquelles il est impossible de se soustraire, que l’obligation contractée soit ou non remplie. Autrement dit, si le lien juridique n’est pas en lui-même porteur de nécessité, il est en revanche nécessaire qu’il prête à conséquence, et c’est par cette nécessité même des effets du droit que l’auteur entend fonder la nécessité du droit lui-même en tant que pratique. Soit ce que l’histoire n’eut de cesse de mépriser depuis lors, qui chercha à déposséder le juridique des puissances qui lui appartiennent en droit par déplacement de la charge de sa nécessité sur un tiers quelconque aux assises pourtant moins assurées.

Magic. Une métaphysique du lien

Écrit par Laurent de Sutter
Roman
PUF , 2015, 120 pages