critique &
création culturelle
Et malgré tout, résister

Un photographe fauché accepte une proposition de reportage sur les résistants à la crise espagnole pour une prestigieuse revue de photographie. Le voilà embarqué dans des attaques contre les riches et, malgré lui, dans une affaire de terrorisme biochimique. Plongée avec Nicolas Ancion parmi les Invisibles et remuants qui secouent notre société contemporaine.

Nicolas Ancion

Tout pourrait commencer par un paysage. Sur le flanc d’une colline dominant la mer, des centaines de villas bordent les allées ensoleillées qui mènent au restaurant panoramique en contrebas du golf. Sauf que la construction du domaine Mirasol n’a jamais été achevée. Aux maisons manquent les châssis, les allées sont recouvertes de végétation, le golf est un champ sauvage. Les promoteurs immobiliers à l’initiative du projet ont fait faillite dans la foulée de la crise espagnole, et de leurs rêves insensés d’investissements lucratifs ne restent que ces innombrables villas désertes. Seul André, un médecin belge parti offrir gracieusement ses soins à ceux qui en ont besoin, anime de sa présence en bottes et salopette un domaine devenu le sien.

C’est dans cet étrange décor que Bruno débarque en Espagne avec pour mission de photographier les femmes et les hommes qui luttent face à la crise. Dans le même temps, un mercenaire russe menace de faire des ravages au moyen d’un virus aussi contagieux que dévastateur. Mêlé à son insu à l’affaire, c’est avec les services secrets à ses trousses que Bruno mène son reportage. Il rencontre André, Ivana, des squatteurs en résistance à Barcelone. Il cherche Maria, une journaliste qui, après avoir tout perdu, a déclaré la guerre aux toujours plus riches.

Okupa y Resiste !

Mais les résistants, chez Nicolas Ancion, ce ne sont pas seulement ceux qui s’en donnent le nom. C’est aussi un jeune geek surdoué de l’informatique qui vit reclus dans son appartement de banlieue au milieu des câbles et des écrans, handicapé par son obésité morbide qui le contraint à se rendre invisible au monde. C’est un colonel des services secrets français qui prend sur lui de prioriser l’action de son équipe sur la menace réelle de l’attaque biochimique, contre l’avis du politique et quitte à risquer son poste.

L’intrigue d’ Invisibles et remuants se tisse, sur fond de débâcle économique et sécuritaire, autour des histoires de ces personnages complexes et touchants, auxquels l’auteur nous attache. Ils n’ont pas l’étoffe des super-héros qui changent le monde de leurs superpouvoirs, mais ils donnent espoir. Ils nous font tourner les pages, veiller plus tard, rater l’arrêt de bus, et nous savons qu’ils vont nous manquer, une fois le livre terminé.

L’écriture de Nicolas Ancion, tour à tour engagée, haletante, drôle ou poétique, nous entraîne dans un récit en équilibre entre les genres. Sans bien savoir où il se trouve, le lecteur se laisse embarquer par la force des personnages, la beauté sauvage des paysages de la crise et la sensation d’évoluer dans une intrigue ultra-contemporaine nourrie au présent immédiat, voire au futur proche. Invisibles et remuants est un objet hybride qui insuffle de la poésie au thriller et de la militance à la fiction. On n’y résiste pas !

Même rédacteur·ice :

Invisibles et remuants

Écrit par Nicolas Ancion
Roman
Maelström , 2015, 328 pages