Quartier de Poble Sec. Barcelone. Chucho, onze ans. Né de parents inconnus, il est « recueilli » par un proxénète du nom de Belito qui se sert de lui pour de menus services. Entre les jeux avec ses petits camarades ; les visites chez « la Dumbre », une vieille prostituée devenue impotente ; l’école et différents petits trafics opérés ou non sur ordre de Belito. Chucho ne conçoit l’existence d’un autre univers que celui de Barcelone.

Chucho, c’est cet enfant de pute, probablement mexicain ou cubain… ; Barcelone est pour un garçon comme Chucho ce qu’est pour un orphelin l’hospice et son domaine, dont il n’a jamais été question de sortir… Pour Chucho, Barcelone, c’est, sans question, la réalité.

Dans cet univers sombre de la prostitution et de la violence, Chucho et ses camarades essaient de survivre en se tenant à carreau face à Belito et en respectant à la lettre ses ordres. Douze ans, âge de l’insouciance, est pourtant pour Chucho et les autres enfants sous le joug du proxénète l’âge de toutes les peurs, l’âge d’aller à la « ferraille » : Quand j’aurai douze ans, je devrai aller à la ferraille. Comme Toni. Le soir, la nuit, aller démonter les rails ou les fils électriques au-dessus des trains. C’est dangereux. Et on doit se battre avec les Gitans, on les a au cul.

Un ami, un confident : « le prêtre », un prostitué homosexuel, également au service de Belito. C’est le seul en qui Chucho a confiance : alors que personne ne s’intéresse à sa vie et à ses rêves ; le Padre, lui, croit en Chucho : Le prêtre me le dit toujours, que j’ai de l’avenir ! Que je ne dois pas moisir ici.

Et l’espoir point à l’horizon quand Chucho rencontre Hans, un riche Allemand à qui il sert d’intermédiaire pour une passe auprès de « la Polaca », une des prostituées de Belito, court-circuitant ainsi ce dernier. Dorota, alias « la Polaca », est punie pour cette passe « irrégulière » ; Chucho également. Mais il a pu arracher à Hans la promesse de lendemains qui chantent, d’une famille, d’un départ avec lui à New York : Sur le trottoir, la plus belle journée de sa vie commence enfin. Un peu d’air glisse de la montagne vers la mer. La ville est libre, lumineuse. Un frisson monte dans le corps du gamin. Le monde, le temps s’arrêtent. Et le matin, qui toujours a dit bonjour, aujourd’hui dit adieu. Seulement tout ne se passera pas comme prévu… Le temps des projets, des rêves, des plans sur la comète s’achève.

Grégoire Polet signe un roman qui tranche un peu avec ses précédents, si ce n’est dans l’écriture toujours aussi visuelle, précise, marquée par une certaine fluidité. Ses trois premiers romans se caractérisaient par une multitude de personnages et la récurrence de certains d’entre eux. On en compte beaucoup moins ici. Quant à la construction du récit, il ne s’agit plus tellement d’un scénario où des personnages sont liés les uns aux autres dans un réseau de relations comparable à une toile d’araignée ; mais plutôt de la tranche de vie de vingt-quatre heures d’un personnage qui se débat entre une réalité peu reluisante et l’espoir d’une autre vie, tandis que d’autres personnages gravitent autour de lui d’une manière ou d’une autre. Chucho, c’est aussi simplement la description d’un morceau de vie sans a priori, sans une quelconque réflexion sous-jacente sur un thème précis (là où Excusez les fautes du copiste, par exemple, était porteur d’une réflexion de l’auteur sur l’art). Contrairement enfin à Madrid ne dort pas et à Leurs vies éclatantes, il ne s’agit plus ici d’une large photographie d’une ville avec tous ses personnages qui y vivent, y meurent, s’aiment, se détestent simultanément, mais plutôt d’un sorte de zoom sur quelqu’un, quelque part dans Barcelone, qui vit sa vie, avec ses déboires, ses joies et ses espoirs.

Que la suite du récit soit laissée en suspens, engendre certes une légitime frustration chez le lecteur ; mais Chucho a néanmoins le charme de ces histoires inachevées qui vous laissent l’imagination en ébullition.

Pour l’anecdote :

« Chucho, c’est quoi comme prénom ?
— … Il y en a qui disent, ça veut dire un chien. Mais ça veut dire aussi un beignet. Et le prêtre il me dit qu’à Cuba c’est un petit nom pour Jésus. »

Cet article est précédemment paru dans la revue Indications no381.

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Chucho

Écrit par Grégoire Polet
© 2009, éditions Paris, Gallimard
Roman, 128; pages