critique &
création culturelle
Il y a plus que ce que l’on dit
« Tentative de photographier avec le langage »

Fruit d’une collaboration aux ramifications multiples et entremêlées, Il y a plus que ce que l’on dit est un livre de poésie photographique où voisinent le proche et le lointain, le mot et l’image, la voix et le regard.

Au-delà d’un titre légèrement inconfortable à prononcer, Il y a plus que ce que l’on dit est une proposition (joli et judicieux sous-titre de l’ouvrage) complexe et harmonieuse issue de l’association des Midis de la Poésie et de l’atelier de photographie de l’ESA Le 75, école offrant un bachelier artistique porté sur les arts plastiques et visuels. Ce qui est ici proposé au lecteur est comparable à un film immobile (l’oxymore fait sens si l’on se dit que le mouvement, inhérent au film, est repris par la phrase qui, toujours, accompagne l’image, et suppose l’acte mouvant qu’est la lecture). Composé de photographies illustrant des vers partagés durant les saisons des Midis de la Poésie liant 2016 à 2019, l’ouvrage laisse s’entremêler le mot et l’image au sein d’une même page, si bien que, malgré la fixité des paysages et figures photographiés, un dialogue s’établit. Ce dialogue est ponctué d’ellipses qui prennent la forme de pages blanches, et de monologues qui prennent celle de textes originaux écrits par les artistes associés aux séances des Midis.

On peut regretter le choix de la couleur rouge, parfois peu lisible, dans laquelle s’écrivent la majorité de ces vers d’époques variées ; mais ce rouge sang ne participe-t-il pas à souligner la vie qui coule dans ces images argentiques en noir et blanc ? Peut-être. Cette couleur enjoint en tout cas à se plonger plus profondément dans l’image, à la scruter et, ce faisant, à y découvrir des détails ou des ombres inaperçues au premier regard. La confrontation du mot à l’image baigne la phrase d’une multitude de significations possibles, elle s’avère propice à creuser la page, à la scruter méticuleusement avant de poursuivre la danse des feuilles. Car c’est bien d’une danse dont il s’agit : le regard est scindé, partagé, décuplé entre le texte et la photographie, la phrase et la page, il s’égare dans et hors de l’image pour retrouver le mot, voire son auteur et son contexte à l’extrême fin du livre – qui ne figure pas pour autant son aboutissement, puisque les allers-retours sont constants et constitutifs de cette expérience de lecture-observation.

Au fil des pages, l’observateur voyage entre différentes couches de temps, mises en relation par l’association de l’image (contemporaine) aux vers (d’aujourd’hui et d’hier), mais aussi par le biais du dispositif même de l’ouvrage, qui provoque le croisement d’un grand nombre de temps différents. Il y a, tout d’abord, celui des séances des Midis, lieu de la rencontre première entre les auteurs et les photographes, là où étudiants et professeurs ont extrait méticuleusement des bribes des poèmes qui leur furent exposés pour les présenter ensuite à leur propre travail. Mais, au-delà de la lecture, le poème a, lui aussi, un temps qui lui est propre et premier : celui de l’écriture qui, comme celui de la photographie, fait référence à un instant T, à un punctum unique et singulier.

Ce croisement de temps s’accompagne inévitablement d’un croisement de gens : aux Midis, un·e auteur·ice présente un·e poète·esse ou un sujet qui lui est cher, accompagné d’un·e acteur·ice pour dire les textes choisis. « C’est là le fil rouge d’une saison : ne pas parler directement de soi, de son œuvre, mais plutôt de ce qui, dans le travail d’autrui, a nourri le sien ». Ceci nous amène à une autre hypothèse : le rouge des mots serait alors celui du fil qui lie entre elles les images et les lettres, les pages et les textes, les voix et les regards, de manière à composer une vision singulière à partager avec autrui. Le lien est le maître mot de cet ouvrage. Bien sûr, ces associations d’images et de mots sont forcément très personnelles. Toutes ne résonneront pas de la même façon dans l’imaginaire du lecteur ; en fonction de la sensibilité de chacun, certaines phrases, certaines images, trouveront plus d’échos que d’autres. En cela, l’ouvrage illustre au mieux l’essentielle subjectivité de la création, qu’elle soit photographique ou poétique : fruit d’une sensation, d’une expérience personnelle et subjective, partagée ensuite à l’aide des mots et des images qui résonnent au mieux avec elle. Il y a plus que ce l’on dit , il y a plus que ce que l’on voit, il y a l’ensemble, il y a l’imaginaire que tout cela convoque.

Même rédacteur·ice :

Il y a plus que ce que l’on dit

Midis de la Poésie – Atelier de photographie de l’ESA Le 75

Midis de la Poésie éditions, 2020