Le cut-up est la technique d’écriture emblématique de Burroughs. Celle que l’on associe à son nom dans un réflexe quasi pavlovien. Pourtant, des techniques d’écriture, William Burroughs et Brion Gysin en ont inventé plusieurs. Retour, donc, sur le cut-up. Cette technique d’écriture « iconique ». Cette technique « chromo ». Quelques mots sur sa fabrication et ses limites. Un épisode spécialement écrit pour ceux et celles qui ne la connaissent pas encore.
Mais d’abord une question : un cut-up, qu’est-ce que c’est ? Voici comment WSB et BG nous le présentent :
La méthode est simple. Voici l’une des manières de procéder. Prenez une page. Cette page par exemple. Maintenant coupez-la en long et en large. Vous obtenez quatre fragments : 1, 2, 3, 4… Maintenant réorganisez les fragments en plaçant le fragment 4 avec le fragment 1, et le fragment 2 avec le fragment 3. Et vous obtenez une nouvelle page.
Prenez n’importe quel poète ou prosateur que vous aimez. La prose ou les poèmes que vous avez lus maintes et maintes fois […] Recopiez les passages choisis. Remplissez une page d’extraits. Maintenant découpez la page. Vous obtenez un nouveau poème. Autant de poèmes que vous voulez.
Cette méthode est tirée d’Œuvre croisée.
Voilà donc, basiquement, ce qu’est un cut-up : une page découpée en quatre et dont on intervertit les parties. Une de nos propres pages. Mais surtout un page d’autrui. D’auteurs et de poètes aimés. Lus et relus mille fois. WSB et BG insistent beaucoup : les poèmes et les mots lus maintes et maintes fois ont perdu toute signification et toute existence, voire toute saveur, à force de répétition. En découpant les mots de Shakespeare ou de Rimbaud, en les remontant suivant la méthode du cut-up, on entendra de nouveau leurs voix. En les remontant, on prendra, de plus, leur place. Prendre leur place. Devenir calife à la place du calife. Devenir écrivain à la place de l’écrivain. Poète à la place du poète. Extrême démocratie du cut-up, extrême démocratie d’une méthode iconoclaste :
Les cut-ups sont pour tous. N’importe qui peut faire des cut-ups. C’est une méthode expérimentale dans le sens où elle est une praxis. N’attendez plus pour écrire. Nul besoin d’en parler ou d’en discuter. […] Découpez les mots et voyez comme ils tombent. […] Découpez les mots de Rimbaud et vous êtes assurés d’avoir au moins de la bonne poésie à défaut d’une présence personnelle.
Du milieu des années 1950 au milieu des années 1960, WSB expérimentera. Découpera, mélangera puis remontera bon nombre de pages. Des extraits de ses propres livres. Des « routines » déjà écrites mais non publiées. Des fragments de romans de science-fiction, de livres philosophiques, politiques, scientifiques, etc. Des articles divers. La Machine molle, le Ticket qui explosa, Nova Express, première des deux trilogies de l’auteur, en sont issus. B y raffine ses outils d’écriture. Nous donne à lire des textes, « routines » d’écriture, sous forme de courts chapitres, où, a priori, tout fuit, tout échappe.
La première fois qu’on ouvre un livre de la trilogie, nos réactions de lecteurs sont diverses et simultanées. Cela nous attire et nous repousse. Cela peut être parfois extrêmement drôle. Cela est souvent illisible. Cela parfois nous accroche. Cela souvent ou parfois nous tombe des mains. Pour le moins, cela nous déstabilise. Nos façons de lire, d’appréhender un texte, patiemment mises en place et quasi à notre insu depuis bon nombre d’années, semblent ne plus avoir cours. Car, pour le moins, lire un livre de cut-up fait perdre les repères.
Cela peut alors sembler fou. Gratuit. Totalement extravagant. Cela nous conduit vite à refermer le livre. Affaire rangée.
Je pense pourtant ceci : Il existe plusieurs manières de « lire » un cut-up. L’une d’entre elles, restrictive, s’appuie sur nos habitudes de lecture. Je pense ceci : cette façon d’appréhender le cut-up en rate l’essentiel. Perd toute la rage et l’obstination de B à sortir des systèmes de contrôle. À fuir l’emprise du virus de la langue écrite. D’autres façons d’appréhender le cut-up existent. Cependant, elles nécessitent une certaine gymnastique. Une certaine souplesse. Elles nous demandent de sortir de nos habitudes, d’appréhender autrement la langue écrite.
Tout un programme.
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