Où l’on répond à l’objection de l’épisode 6. Où l’on pose les premiers jalons d’une approche autre de la lecture de B. Où l’on poursuit allègrement l’énumération des hypothèses sur ce que loupe une lecture restrictive des romans de B.

burrHypothèse 4 : on pourrait voir en WSB un touche-à-tout. Il écrit. Essentiellement des romans. Parfois, ils relatent de façon déjantée des expériences personnelles. Comme Queer, roman homo, ou le Festin nu, roman de camé. Parfois, ils relèvent de la littérature expérimentale. Comme la trilogie des années 1960. Parfois, ils jouent d’un genre, la science-fiction, le western. Parfois, B s’essaie au scénario de film. Comme dans les Derniers Mots de Dutch Schultz ou le Porte-Lame. Il publie également des essais, des articles, un journal, un livre sur les chats, un livre sur les rêves. Parallèlement à cette activité d’écrivain, B peint, B réalise des films expérimentaux, B fait de la poésie sonore, collabore avec divers artistes, essentiellement des musiciens, avec lesquels il réalise un disque de « rap », un disque de « rock », etc. On pourrait voir en WSB l’un des premiers artistes « transdisciplinaires », comme il en existe beaucoup de nos jours. Artistes passant allègrement des arts plastiques aux arts sonores, tout en produisant çà et là des romans, des essais, des poèmes. Artistes n’hésitant pas à coopérer avec d’autres artistes issus de domaines qui ne sont pas les leurs.

Je pense pourtant ceci : malgré cette transdisciplinarité, B est essentiellement un écrivain. C’est-à-dire (pour reprendre ses propres mots) quelqu’un qui écrit. Une personne préoccupée par la langue. Orale ou écrite. C’est de là qu’il part. De cette préoccupation. Ce qu’il invente avec BG, les techniques d’écriture, il en retrouve l’écho, plus tard, dans les arts sonores et l’art vidéo. Dans le son et le visuel, on découpe, on monte. On fait se télescoper des images et des sons. Dans les années 1960 et 1970, B transposera dans des courts métrages, des œuvres plastiques (collages) et des bandes-sons ce qu’il a expérimenté dans l’écriture. Cut-up sonores et visuels seront produits parfois en masse, comme en témoigne, à sa façon, le Métro blanc, conçu, à l’origine comme un livre reprenant des collages, dans une esthétique proche de celle des quotidiens de l’époque : écriture en colonnes, photos noir et blanc de piètre qualité, gros titres en lettres grasses et droites. En retour, côtoyer les mondes du son et de l’image permettra à B de réinventer sa pratique d’écriture. De repenser la langue. Le « montage » des scènes de ses romans. Je pense d’ailleurs ceci : les Garçons sauvages, Havre des saints, puis la seconde trilogie doivent beaucoup à ces frictions avec l’image et le son. Il faudra y revenir.

(Ne pas oublier : consacrer au moins un bout d’épisode à ces retours de balancier. À ces façons qu’ont eues les arts visuels et sonores d’influer sur l’écriture de B.)

burns.burrEn attendant, il nous faut vider une question. Revenir à l’objection de l’épisode 6. B est un écrivain. C’est-à-dire quelqu’un qui écrit. Use de la langue écrite. Curieux écrivain dont le but est de saper, par l’écriture, l’hégémonie de la langue écrite. Curieux écrivain dont le but paradoxal est de nous libérer de l’emprise des mots dans un curieux retournement de la langue contre elle-même ! On pourrait voir dans les cut-up une espèce d’autodestruction du langage, de mise à mort de nos repères. La langue semble y jouer contre elle-même. N’empêche : loin de détruire la langue écrite, de l’évacuer une bonne fois pour toutes, ce traitement pour le moins vigoureux produit des livres et de l’écrit. Oui, il y a comme une espèce d’autodestruction dans les cut-up mais il y a toujours de la langue écrite. Elle prolifère même. Langue de flux. D’énergies. De rencontres catastrophiques. De sauts et soubresauts. On pourrait renverser l’objection de l’épisode 6 en proposant d’explorer cette langue-là. D’en repérer l’origine. Les raisons pour lesquelles, un jour, une fois, WSB, un écrivain, a décidé de consacrer au moins une décennie de sa vie à la mettre au point. À créer, contre les appareils d’État et leurs machines d’asservissement, une autre machine. Machine de guerre contre machine d’État.

Émettre toutefois, avant de nous y mettre, une dernière hypothèse.

Hypothèse 5 : une lecture restrictive des cut-up, lecture essentiellement « esthétique », ne permet pas de comprendre la « trajectoire » de B. Les raisons pour lesquelles, plus tard, des années 1970 aux années 1990, il reviendra à une écriture d’apparence plus sage, notamment dans sa seconde trilogie. Paradoxalement, si l’on s’en tient à une lecture restrictive des cut-up, on focalise notre attention sur une espèce de « geste inaugural », sacralisant une époque, faisant du cut-up un cliché, un slogan, un chromo de plus, auquel se résumerait B. Comme si le cut-up, geste spectaculaire et provocateur, certes, se suffisait à lui-même. Avait été un but en soi. Alors qu’il n’est qu’un des éléments d’une recherche intense, courant tous azimuts, touchant tous les domaines. Élément essentiel, bien sûr. De toute évidence, qui se souviendrait de B s’il n’y avait eu le cut-up ?

N’empêche.

Si l’on veut que le feuilleton se poursuive, il faut maintenant creuser. Comprendre un peu ce que sont ces langues étrangères qui naissent de cette pratique. Les appréhender. Un peu. Malgré leur caractère déceptif. Leur façon radicale de nous botter en touche. De nous mettre hors du jeu.

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