L’histoire commence en 1972. Laissant les sixties derrière elle, c’est une Angleterre marquée par les grèves, les crises énergétiques et la politique maladroite du conservateur Edward Heath qui entre dans une nouvelle décennie au son des mitraillettes du Bloody Sunday.

Notre héroïne, Serena Frome (« prononcez Frume, comme dans plume »), fille d’un bienveillant vicaire anglican, entame sans grande conviction un master en mathématiques dans la prestigieuse université de Cambridge. Sans grande conviction car sa véritable passion, c’est la lecture. Et encore, le mot est faible : elle dévore la fiction des XIXe et XXe siècles, de Jane Austen à Muriel Spark en passant par Dostoïevski et Jacqueline Susan. Qui plus est, la demoiselle est belle, terriblement belle, le genre grande blonde au visage d’ange et aux courbes parfaites, avec juste ce qu’il faut de naïveté et de répartie pour tenir le rôle de la James Bond girl modèle.

Ce gracieux cocktail finit par attirer l’attention de Tony Canning, professeur d’histoire dans la cinquantaine, marié, amateur de spiritueux et de discussions spirituelles, et ancien agent du MI-5. Serena et lui deviennent, comme il fallait s’y attendre, amants et Canning entreprend de parfaire l’éducation politique de sa jeune maîtresse dans un seul et unique but : présenter sa candidature au fameux Security Service.

L’entretien avec les pontes du MI-5 se déroulera à merveille, sans doute facilité par le physique avenant de la donzelle plus que par son aplomb face aux questions des recruteurs — un poil misogynes —, et la voilà embauchée par le plus secret des services du gouvernement britannique.

Mais la désillusion est au rendez-vous : la délicieuse créature se retrouve cantonnée à d’obscurs travaux d’archivage et de dactylo qu’elle accomplit diligemment pour un salaire de misère, jusqu’au jour où l’occasion de valoriser son expertise en matière de littérature se présente sous la forme de l’opération Sweet Tooth.

Votre mission, si vous l’acceptez…

Dans le but de contrer la propagande communiste, le MI-5 souhaite financer secrètement des journalistes et de jeunes écrivains prometteurs. Or, leur premier choix s’est porté sur la personne de Tom Haley, un auteur de nouvelles qui fleurent bon l’anticommunisme et qui vivote grâce à un mi-temps à l’université du Sussex.

La mission de Serena : s’assurer sa pleine coopération au projet mis en place en veillant à ce qu’il ne se doute pas de l’origine de cette manne financière.

D’abord séduite par la prose « tchékhovienne » de Tom, la jeune femme succombe ensuite au charme de l’homme si bien que, en moins de temps qu’il n’en faut à Ian McEwan pour l’écrire, une idylle se crée qui place d’emblée Serena dans une situation pour le moins délicate.

En effet, doit-elle jouer le jeu de l’honnêteté et révéler à son compagnon qu’elle travaille pour le MI-5, bien qu’elle sache que Tom renoncerait sans hésiter au financement — et peut-être même à leur liaison — s’il devait en découvrir l’origine ?

En outre, comment réagiraient les huiles du Security Service s’ils venaient à apprendre que, lors de sa première mission, leur jeune et inexpérimentée recrue a commis l’hérésie de mêler de la sorte amour et vie professionnelle ?

Sous ces peu avenants auspices, les choses prendront très vite une tournure rien moins qu’agréable pour Serena… mais bon, elle avait au moins pris la peine de nous en prévenir dès le premier chapitre.

Un roman intelligent mais…

Comme Serena avec les nouvelles écrites par Haley, on tourne les pages de ce roman à l’humour grinçant avec avidité, anxieux à l’idée de découvrir le « plot twist » que l’auteur, avec son talent coutumier, ne manquera sans doute pas de nous réserver.

Hélas, trois fois hélas, on s’aperçoit que la fin tarde à arriver, qu’on se perd dans des scènes parfois répétitives et sans grand intérêt — attention au risque d’indigestion de dîners aux huîtres arrosés de chablis — et que, au fur et à mesure de notre progression, il ne faudra pas s’attendre à un éblouissant retournement de situation.

Au final, Opération Sweet Tooth reste malgré tout un roman intelligent, plein d’une ambiance vintage et d’une ironie toute britannique, qui lorgne à certains moments du côté du pastiche (avec notamment des clins d’œil à l’écrivain Martin Amis, ami de longue date de l’auteur), mais qui n’est peut-être pas tout à fait à la hauteur du génial Ian McEwan.