Leurs enfants après eux
désillusion d’une génération
5 février 2019 par Éloïse Brulin dans Livres | temps de lecture: 4 minutes
Quatre étés caniculaires, une ville éteinte, des adolescents dont l’avenir est déterminé… Dans Leurs enfants après eux, Nicolas Mathieu, lauréat du prix Goncourt 2018, raconte une génération piégée et désenchantée d’une façon brute, authentique et humaine.
Nicolas Mathieu nous raconte une histoire située dans la vallée d’Heillange, ville fictive piégée par son passé productif, et un futur utopique auquel on n’ose pas croire. Là, le temps s’écoule de façon monotone depuis l’arrêt des hauts-fourneaux. La désindustrialisation pèse énormément sur les habitants, autant que la chaleur moite des quatre étés que nous rapporte le récit, de 1992 à 1998. La globalisation renverse l’industrie et laisse derrière elle des ouvriers mal en point. L’ennui fait partie du quotidien et chacun y échappe à sa manière : drogue, alcool, escapades… Parmi les habitants de la vallée figure Anthony Casati, autour de qui gravite l’histoire. D’abord adolescent insouciant, il se croit invincible, au-dessus de tout. Ses parents ne s’entendent plus, son cousin donne l’air de se contenter de son univers artificiel. Puis Anthony réalise progressivement la fatalité de la vie à travers les figures de son père Patrick, de sa mère Hélène, et des personnages de Steph et Hacine.
Malgré les ellipses de deux ans entre chaque été, Leurs enfants après eux s’inscrit dans une conception cyclique du temps. Le titre prend son sens dès lors qu’on s’aperçoit que le fils finit par suivre le chemin paternel alors qu’il voulait le fuir. Anthony se retrouve à travailler à l’usine comme son père, de même que Hacine, après s’être détourné du monde de la drogue qu’il avait d’avoir choisi. La vallée semble dès lors représenter une forme de prison dont on ne s’échappe pas : on y naît, on y reste. L’avenir y est sans issue. On se retrouve contraint de travailler pour survivre, pour rembourser ses dettes et se construire un bonheur illusoire en achetant une moto ou une télé à crédit. On a l’air heureux parce qu’il le faut mais on n’en est pas vraiment convaincu.
« Resté seul, Anthony alluma une cigarette. Il pensait à son vieux. Cette vie qu’on leur faisait. Il regrettait vraiment de n’avoir plus rien à boire. Il fouilla ses poches pour voir s’il n’avait pas un peu de blé, histoire d’acheter une ou deux canettes aux mômes qui se trouvaient plus bas. Mais ses poches étaient vides. Il regardait le soleil glisser vers l’ouest. L’horizon, bientôt, flamba. »
Le ton de Leurs enfants après eux est d’un réalisme presque gênant. Le vocabulaire utilisé par Nicolas Mathieu est cru et dépeint un quotidien vrai, sensible, auquel on peut s’identifier. S’il peut mettre mal à l’aise au départ, le langage correspond parfaitement aux impressions qu’il veut donner : la vie sans artifices, l’ennui, le dépit. Les conversations sont elles-mêmes vides et dépourvues d’intérêt, de valeur : on parle pour éviter les silences. Les personnages établissent des liens pour la forme mais ne s’investissent pas dans leurs relations. Toutefois, dans leurs maladresses, ces personnages deviennent attachants. On en viendrait à les comprendre, voire même à les plaindre. Le lecteur est donc face à une réalité qu’il connaît. Il pourrait en arriver à s’interroger quant à la dérision de la vie et de son rythme qui empêche de la savourer pleinement.
Leurs enfants après eux est l’histoire réaliste de la désillusion d’une génération. Les adolescents marchent dans les empreintes de leurs parents après avoir vu leurs projets d’évasion échouer. Le livre laisse un goût doux-amer dans la bouche. On ne sait pas si on se trouve face à une réprimande ou face à un exemple de ce qu’il ne faut pas faire pour profiter de la vie. On ne sait pas si on devrait se battre contre cette fatalité ou s’il faudrait, comme Anthony et les autres, faire profil bas.
L'auteurÉloïse Brulin
Je rêve d’aventures et d’autres paysages, à défaut d’en avoir le budget, je me plonge dans les livres. J’aime me laisser surprendre d’où mes goûts très éclectiques ! En général,…Éloïse Brulin a rédigé 21 articles sur Karoo.
Derniers articles
Vos réactionsCommentaires
À votre tour de nous dire ce que vous en pensez, en toute subjectivité...