critique &
création culturelle
Magdalène de Georges Peignard
Habile sculpteur de mots

Magdalène (le Tripode, 2023) de Georges Peignard, c’est une bouffée d’autre chose, d’une autre forme, entre roman, conte et poésie. C’est une lecture à faire lente, pour éviter d’avoir la tête trop pleine de pensées à mastiquer. Une lecture qui révèle, tout en douceur, la silhouette de son auteur, au sein de laquelle on retrouve un petit bout de soi-même.

Votre première rencontre avec Magdalène se fait à travers l’image d’une bernache trônant sur un énorme nid, fait d’une multitude de branchages. Ses yeux sont clos. Sur la quatrième de couverture, votre regard retrouve cette même bernache, les yeux et les ailes bien ouverts cette fois-ci. Elle s’est envolée. Le texte qui l’accompagne vous invite à visiter ce que cache ce nid, à fouiller ce que Georges Peignard a laissé là, au cœur de cet objet-livre bien singulier.

Il ne s’agit pas vraiment d’un roman, mais plutôt d'une collection de passages d’une page ou deux maximum, décrivant tantôt un souvenir, tantôt une réflexion sur un sujet particulier. Le tout est organisé en ce qui pourrait être compris comme des chapitres : « Paysages », « Outils », « Histoire »… Chaque passage, écrit en italique et accompagné de deux parenthèses, donne l’impression que le titre vous est chuchoté, presque avec timidité : (Le temps de la pierre), (Peindre la chair), (Les jambes d’enfant) … Les sujets sont variés, et tous liés au vécu de l’auteur, qu’on apprend à connaître au fil des passages. C’est une lecture qui n’appelle pas l’impatience, car les pages ne peuvent se laisser dévorer ainsi. Elles sont à picorer. Elles nous demandent une lenteur de lecture qui n’est plus commune, dans la nécessité de rapidité qui entoure nos actions au quotidien. Le livre-conte de Georges Peignard est à savourer.

Magdalène est une porte sur le regard particulier que pose son auteur sur le façonnement des paysages et des matières. Au fur et à mesure de ma lecture, mon incompréhension face à cette forme nouvelle a laissé place à une admiration emplie de sérénité. S’il y a une trame narrative à chercher, c’est celle que l’auteur peint à coup de souvenirs de son enfance, d’impressions de paysages bretons et d’amour pour la sculpture. Certains passages vous frappent en plein cœur par leur justesse, tant ils résonnent avec votre expérience. Vous partagez alors, le temps de quelques lignes, une connivence avec l’auteur. Lui aussi a ressenti ce sentiment que vous croyiez unique, et il a su en « façonner » les mots.

Mais nous nous construisons tout à la fois dans la sensation réelle d’un paysage et par les images et récits qui nous choisissent, la superposition des deux, cette hybridation, ne fait jamais vraiment de nous les habitants d’un seul lieu.

Tout en douceur, Magdalène esquisse un portrait de son auteur. Sculpteur, peintre, dessinateur, écrivain et facteur de marionnettes, Georges Peignard mêle les pratiques artistiques dans ses œuvres. Également enseignant à l'École Européenne Supérieure d’Art de Bretagne, il a déjà publié les deux beaux-livres Varlamov (2019) et La Fin du cuivre (2020), le roman graphique Fugitive (2021) ainsi que l’essai biographique illustré Élisée Reclus, penser l’humain et la terre (2022) avec Isabelle Louviot. Au sein de ses ouvrages, on retrouve ce mariage entre les arts et cette attention toute particulière pour la contemplation des paysages naturels, qui dévoilent parfois une certaine violence d'être.

La végétation ne pardonne aucune faiblesse, aucune absence, elle qui chaque jour renouvelle ses forces pour reprendre les quelques mètres carrés dont vous l’aviez exclue à bout de bras. Je sais que la petite surface herbeuse qui entoure sagement ma maison, et que l’on nommerait hâtivement une pelouse, n’attend que la maladie m’absente, que la vieillesse envahisse mes bras, pour regagner ses espaces perdus.

Il n’est pas étonnant de retrouver toutes les œuvres de cet auteur éditées au Tripode . Maison d’édition indépendante créée en 2012 par Frédéric Martin et basée à Paris, le Tripode compte dans son catalogue des œuvres originales avec une identité graphique forte et unique, et ce pour chacun·e de ses auteurs et autrices. On y retrouve d’ailleurs L’homme qui savait la langue des serpents (2007) de l’auteur Andrus Kivirähk, prix de l’Imaginaire en  2014, ou L’Art de la joie (publication originale en 1994 aux éditions Viviane Hamy) de l’autrice italienne oubliée Goliarda Sapienza. « Littérature Arts Ovnis », voilà les trois mots qui surgissent dans l’en-tête du site internet du Tripode pour caractériser chaque œuvre du catalogue.

Magdalène trouve bien sa place dans cette curieuse formulation. Cet ouvrage, c’est une bouffée d’autre chose, d’une autre forme, entre roman, conte et poésie. C’est une lecture que j’ai apprise à faire lente, pour m’éviter d’avoir la tête trop pleine de pensées à mastiquer. Une lecture qui m’a révélé, tout en douceur, la silhouette de Georges Peignard, au sein de laquelle j’ai retrouvé un petit bout de moi-même. C’est une expérience que je vous invite à faire pour picorer, çà et là, ce condensé de vie éparpillé au fil des pages.

Même rédacteur·ice :

Magdalène

Auteur : Georges Peignard

Édition : Le Tripode

Nombre de pages : 224 pages

Parution: 9 mars 2023