critique &
création culturelle
Michelle doit-on t’en vouloir d’avoir fait un selfie à Auschwitz ?
de Sylvain Levey Un badbuzz historique

En voyage scolaire, une jeune américaine pose devant les grilles d’Auschwitz. Un sweatshirt rose sur le dos et un large sourire aux lèvres. À peine le selfie pris et posté, les commentaires fusent. Cette jeune fille se retrouve alors dans les faits divers. C’est à ce moment que Sylvain Levey intervient et rédige, à partir de cet évènement, un texte théâtral.

L’adolescente américaine devient Michelle alias @uneviedechat qui habite à Amelécourt. Avec sa classe, ils partent en Pologne. Parmi les visites : Auschwitz, le camp de concentration. Les valises, le bus, l’hôtel. Dans ces 40 pages tout est relaté jusque l’instant fatidique et ses conséquences.

Tout d’abord, le mélange du monde réel et du monde virtuel est très intéressant. Entre les discussions, les pseudonymes interviennent et permettent de raconter les échanges en ligne. Tout ce qui se passe dans le groupe d’amis et sur le mur de chacun, le lecteur en est informé. La difficulté de lire ces échanges est d’ailleurs un point qui, s’il parait négatif au premier abord, est finalement très logique quand on le compare à la difficulté d’appréhender les réseaux sociaux lorsque l’on n’y est pas initié. Les adultes de la pièce ont d’ailleurs une approche très différente de ces réseaux : plus de texte, d’échanges privés, moins de photos, de partages et commentaires.

LA VOIX DE LA MERE.– Il faut y aller.

UNEVIEDECHAT.– Pull noir ou sweat rose ?

PIERREDELUNE.– Sweat rose.

LA VOIX DE LA MERE.– Dépêche-toi.

UNEVIEDECHAT.– Tu prends le tien ?

ANGEOUDEMON.– Oui.

UNEVIEDECHAT.– Angèle prend le sien.

PIERREDELUNE.– Yes !

LA VOIX DE LA MERE.– On y va.

UNEVIEDECHAT.– En mode girly ! Sweat rose dans la

valise !

PIERREDELUNE.– J’aime.

ANGEOUDEMON.– Emoji girly.

Ensuite, il est possible que le lecteur reste sur sa fin. Le contexte est très bien placé et ensuite tout s’enchaîne très vite et le bad buzz retombe encore plus rapidement. Si cela est donc comparable à un véritable buzz , il n’en reste moins que le débat n’est que peu abordé. En effet, la question est posée plusieurs fois, mais les arguments sont manquants. Doit-on, au final, en vouloir à Michelle d’avoir fait un selfie à Auschwitz ? Était-ce de l'indélicatesse, du cynisme ? Le débat est présent dans la salle de classe de Michelle mais n’est pas partagé au lecteur. Choix tranché afin de déplacer ce fameux débat dans la vie réel, dans les classes de secondaire ? Peut-être. Seulement, il persiste une frustration pour le lecteur.

Une autre particularité de ce texte est la prise de parole des personnages. Chacun d’eux décrit sa propre action ou celle de son compatriote. Il est d’abord difficile de se représenter ces interventions, ensuite, elles suscitent la curiosité. Le lecteur se demande : que cela aurait-il donné sur scène ? Des moments de suspend, de pause ? Des voix-off incarnées ? Ou cela aurait-il coupé le rythme de la pièce ? Ces questions feraient regretter de ne pas avoir été présent à Brest pour voir les acteurs sur les planches.

LA MERE. – Tu n’as rien oublié ?

MICHELLE. – Ma mère tend sa joue.

LA MERE. – J’attends un baiser.

KIM. – Michelle ne veut pas embrasser sa mère.

MICHELLE. – Pas devant tout le monde.

KIM. – Elle le fera un peu plus tard, par SMS.

Enfin, doit-on en vouloir à Michelle d’avoir fait un selfie à Auschwitz ? À l’époque où poster un selfie est presque un réflexe pour les jeunes, Michelle a-t-elle réfléchi à l’impact de son geste ? Était-ce un hommage maladroit ou une provocation ? Dans l’immédiat de la toile, les réactions sont amplifiées et les commentaires créent un effet boule de neige. Ce phénomène démarre vite, et s’éteint au buzz suivant. Sylvain Levey fait ressentir au lecteur l’instantanéité et la confusion. Il l’emmène à travers la Pologne et les hashtags tout en le laissant décider d’en vouloir ou non à Michelle.

Même rédacteur·ice :

Michelle doit-on t’en vouloir d’avoir fait un selfie à Auschwitz ?

Sylvain Levey

Éditions Théâtrales, 2017

64 pages