En 1987, Loustal et Paringaux faisaient paraître dans la collection (À Suivre) de Casterman un album intitulé la Note bleue. Les lecteurs découvraient ainsi la biographie rêvée de Barney Wilen, comme Joann Sfar fantasmera sur Gainsbourg auquel il prêtera une Vie héroïque en 2010.


Nous sommes à la fin des années 1980 et les jazzmen emblématiques ont presque tous fini de swinguer. Miles Davis souffle de plus en plus court dans des albums qui annoncent la vague hip-hop prête à déferler ; Chet Baker s’éteint doucement, attendant de décrocher une dernière note ; Duke Ellington et Thelonious Monk ne martèlent plus leur piano depuis un bout de temps ; Stan Getz triture les clefs de son saxophone pour la dernière fois tandis que Coltrane n’est plus là pour le faire.

Deux auteurs de la nouvelle vague de la bande dessinée ressortent alors Barney Wilen d’un vieux vinyle rayé. En près de cent pages, ils inventent une mythologie à ce saxophoniste trop peu connu. La vie de Barney en phylactères est la trajectoire d’un enfant prodige déchu. Il joue des heures dans des cabanons isolés au bord d’une plage, tombe amoureux de filles trop jeunes, fume sur des terrasses de villas azuréennes, se drogue sans doute à l’excès, meurt d’avoir cherché le nirvana ailleurs que dans la musique. Le vrai se mêle à la fiction. Et s’accompagne d’un disque de Barney Wilen, le vrai cette fois-ci, comportant autant de plages que le livre comporte de chapitres, comme la bande son d’un film qui s’animerait dans l’esprit du lecteur. Enfin, Barney Wilen réenregistrait un disque et sortait de quinze années de silence jazzistique, après des débuts pourtant prometteurs.

loustal_barney

Barney Wilen a vingt ans, quand, en 1957, il est choisi pour intégrer le quintet de Miles Davis qu’on entend sur la bande originale du film de Louis Malle Ascenseur pour l’échafaud. Improvisée devant les images du film et nécessitant peu de prises, la musique d’Ascenseur pour l’échafaud innove et séduit. Miles Davis est définitivement au sommet. Barney Wilen l’accompagne lors d’une tournée aux États-Unis. S’il était déjà la coqueluche de Saint-Germain-des-Prés à cause de son physique de jeunot, de ses lunettes rondes et des notes si pures qu’il parvenait à produire, lui pourtant si jeune, Barney Wilen prend désormais une autre ampleur. Il peut maintenant mener ses propres formations musicales et signer à son tour des bandes originales de films noirs français, comme Un témoin dans la ville.

En 1959, Barney, un album live, offre une version fleuve de son standard de prédilection : Besame Mucho. Pendant douze minutes, le quintet de Barney Wilen réenchante les notes de ce morceau épuisé à force d’être joué partout et par tout le monde. Barney réussit même à s’effacer derrière la virtuosité de ses musiciens, notamment derrière son pianiste qui détient le morceau de bravoure avec un solo d’une aisance inouïe. Le jazz est une conversation où chaque musicien a son mot à dire. Ils se répondent, s’invectivent, s’émulent mais surtout partagent.

[youtube id= »HQneEHGojKU »]

Barney Wilen pourrait en rester là, perpétuer la tradition be-bop et modal dans les clubs de Saint-Germain-des-Prés, mais il part voyager. Entre 1967 et 1971, il erre en Afrique en compagnie de sa femme. Il recueille des impressions. Pianos de poche, calebasse, cithares, chœurs du désert, rythmes exotiques : le jazz fusionne avec la musique d’ailleurs. Cela donne Moshi. Barney est passé des clubs parisiens aux dunes du Sahara avec un album essentiel, précurseur de la world music.

Puis Barney se tait. Un peintre et un écrivain qui se font passer pour des auteurs de bande dessinée lui redonnent du souffle. Il enregistre des disques divers : standards, compositions, expériences, Barney est de retour et déploie une collection de morceaux dans des albums comme French Ballads ou Movie Themes from France. Il reprend Django Reinhardt, Charles Trenet, glisse certaines de ses compositions et joue toujours Besame Mucho. Il s’associe à Philip Catherine et Jean-Louis Rassinfosse pour un Sanctuary où, parmi des compositions du guitariste belge, repose une version cristalline de Recado Bossa Nova.

C’est à New York que Barney swinguera pour la dernière fois, le temps d’y vivre une Romance en compagnie de certains de ses standards fétiches et de quelques nouvelles compositions encore. Une ultime expiration puis, comme les autres, il rejoindra la note bleue.

Barney Wilen

En savoir plus…

Barney et la note bleue

Écrit par
© 2009, éditions Casterman
Roman, 87 pages