Proxima du Centaure
30 juillet 2018 par Aylin Manço dans Livres | temps de lecture: 3 minutes
Les familles me fascinent, surtout celles des autres. On ne peut pas vraiment témoigner du quotidien d’une autre famille parce que notre seule présence le perturbe : on est dans un cas où l’acte de mesurer brouille la mesure elle-même (comme en physique quantique, oui, on a les métaphores qu’on peut). Et puis, même si on pouvait observer, on ne comprendrait rien : les gens développent un langage secret et des silhouettes d’arbres tordus, à force de croître les uns contre les autres.
Proxima du Centaure s’ouvre sur l’obsession de Wilco, le héros, pour Apothéose, une fille de son lycée dont il ne connaît même pas le prénom. Mais ne vous y trompez pas : c’est bien de famille qu’il s’agit. Wilco est tombé de très haut ; il est coincé à l’hôpital. Depuis son lit, il observe son père, sa mère et sa sœur. Il raconte leurs rituels ridicules : les parents sont profs dans le lycée que lui et sa sœur fréquentent, et les matins ils partent tous les quatre à deux minutes d’intervalle, pour aller au même endroit sans pour autant marcher ensemble.
« Quand je ralentis pour ne pas m’approcher de mon père, ma sœur me crie d’accélérer sinon elle se retrouve avec ma mère. On est assez comique, dans la rue, reliés sans l’être par un lien invisible. »

De l’hôpital, Wilco n’en sortira peut-être plus. Le sujet est dur, mais ce roman est loin d’être lugubre. Wilco dit le déni désespéré de son entourage avec humour et une tendresse rude. En filigranes, on sent poindre leur amour fou.
« Parfois les chiens sont dérangés et dans ces cas-là, c’est très compliqué de remplir son devoir de citoyen, a observé mon père tandis qu’on me hissait dans l’ambulance sur une civière. En se concentrant vraiment pour sortir le plus de conneries possible, mes parents ont habilement évité qu’on leur annonce un truc sérieux comme : Votre fils a de fortes chances, s’il ne l’est déjà, de devenir un légume. (Votre fils est quasi mort, en clair.) »
Enfermé dans son corps, Wilco refuse de rester confiné à sa chambre. Il rêve pour s’échapper. Il rêve du chagrin de son meilleur ami, de la rage de sa sœur. Il rêve d’Apothéose, qui, sûrement, regrette à mort de ne jamais lui avoir parlé et, c’est certain, va venir bientôt le voir à l’hôpital.
Cette narration butinante est un tour de force. Le livre paraît écrit pour être lu à voix haute. C’est d’une fluidité vertigineuse : on glisse, glisse, glisse de page en page. Les sauts dans l’espace, le temps et l’imaginaire sont à peine séparés par des virgules et pourtant jamais Claire Castillon ne nous perd. On sait ce qui est inventé, ce qui est vrai, et surtout on sait que pour Wilco, la différence n’a plus d’importance.
La taxonomie sélectionnée pose problème. Réessayez ou choissez-en une autre.
L'auteurAylin Manço
J'écris des romans jeunesse. Ils ne sont pas encore publiés, mais j'ai bon espoir. Je partage le reste de mon temps entre ma passion pour les dessins animés, ma pratique…Aylin Manço a rédigé 13 articles sur Karoo.
Derniers articles
Vos réactionsCommentaires
À votre tour de nous dire ce que vous en pensez, en toute subjectivité...