Dans Invisibles et remuants , votre plume pointe un monde corrompu par l’argent. Pensez-vous que l’écriture doit être militante ?
Chaque livre est différent de ceux qui l’ont précédé. Je veille avant tout à ne pas me répéter, pour ne pas radoter. Chaque texte a sa propre esthétique : il n’y a pas de devoir imposé de l’extérieur, qui dicterait ce qu’un texte peut ou doit faire. Cela dit, chacune des histoires qu’on raconte impose une vision du monde et dit des choses de la place de l’homme dans son univers. On peut raconter des histoires pour endormir les gens ou pour les réveiller. Ce roman-ci appartient plutôt à la deuxième catégorie, j’espère.

Vos personnages ne sauvent pas le monde, mais on a l’impression que vous les aimez et que vous leur faites confiance. Dans le chaos d’une crise économique qui s’acharne sur les plus fragiles et renforce les puissants, placez-vous l’espoir dans les individus ?
Ma réponse est paradoxale : seuls des individus peuvent changer le monde, car la gestion collective des solutions dans nos sociétés est aujourd’hui prise en charge par des entités (entreprises, états, institutions) qui ne travaillent plus dans le sens du bien commun, mais pour la conservation de leur pouvoir (notamment le pouvoir financier, mais ce n’est pas le seul). Seuls des individus peuvent enrayer cette force destructrice qui ankylose nos sociétés mais, pour y parvenir, ils devront proposer des pistes collectives, bien difficiles à mettre en place dans un monde qui prône l’individualisme à tous les étages.

Votre livre a donné naissance à une pièce de théâtre, Blockbuster . Vous pouvez nous en dire plus ?
Les trois piliers du Collectif Mensuel ont lu le roman encore à l’état de manuscrit et on a décidé de préparer un spectacle à partir de la même matière : comment une personne bien installée dans notre monde peut en venir, petit à petit, à être broyée par le système, au point de vouloir en sortir. Comme la pièce de théâtre a vite pris une forme très particulière, celle d’un long métrage projeté, fabriqué à partir du montage de centaines de scènes tirées de films hollywoodiens, l’histoire a dû être largement simplifiée, élaguée, accélérée, pour être racontée « comme au cinéma ». Le roman n’a pas les mêmes impératifs de standardisation.

Invisibles et remuants est à la fois un roman policier, un cri de révolte, une approche des résistants espagnols à la crise… Comment situez-vous votre écriture dans ce mélange des genres ?
L’écriture littéraire intéressante est toujours un mélange de genres. La répétition des formules toutes faites ne m’intéresse pas, c’est du détournement, de la subversion des codes, que naît le sens. Je n’ai pas de solution à la crise que la vieille Europe traverse (ou plutôt qu’on lui fait traverser en prétendant qu’il s’agit d’une crise de la finance immobilière), je ne peux donc pas écrire un essai sur le sujet. En revanche, cette situation fait naître une multitude de questions, auxquelles je ne peux apporter que des réponses imaginaires. C’est précisément à ça que sert le roman. À apporter de mauvaises réponses de fiction à de très bonnes questions qui nous dépassent.

Auriez-vous une lecture belge à nous recommander ? (j’aime qu’une lecture en amène une autre !)
J’ai donné une conférence à Shanghaï il y a deux jours qui m’a donné envie de relire dès mon retour deux recueils d’Henri Michaux que je n’ai plus ouverts depuis vingt ans : Un barbare en Asie , que j’ai lu bien avant de visiter les pays dont Michaux parle et que je lirais tout autrement aujourd’hui, et Ailleurs , un de ceux qui m’ont le plus marqué quand j’avais vingt ans. Ce ne sont pas des nouveautés, mais c’est très bien ainsi : la bonne littérature est plus durable qu’un iPhone, elle n’est pas ringarde et dépassée deux ans après sa sortie.