critique &
création culturelle
Rosa
Un combat de boxe littéraire

Rosa de Marcel Sel, paru aux éditions ONLIT, se lit comme on assiste à un combat de boxe, mais littéraire, entre un père matérialiste et un fils qui se veut écrivain.

Rosa est le premier roman de Marcel Sel, journaliste belge qui n’en est pas à son premier coup d’essai en écriture. Journaliste multimédia et blogueur influent, il est sur tous les fronts : politique, réseaux sociaux, journal satirique… En 2017, il écrit son premier roman qui met en valeur l’Italie et… la Belgique.

Sur le papier, l’histoire n’a rien d’original. L’auteur reprend le topos le plus utilisé depuis plus d’un demi-siècle : la seconde guerre mondiale et les camps de concentration. J’ai eu peur, très peur de tomber sur du déjà-vu. Mais l’innovation, ici, vient dans l’utilisation narrative de cette guerre : la vengeance d’un père.

Albert Palombieri est un père insensible qui méprise son fils. Il décide de lui couper les vivre et le force à écrire un livre. Maurice, le narrateur est désormais payé trente euros par page:

« Tu vas écrire un roman.

Je vais lui écrire l’histoire de sa mère. Albert ne sait rien d’elle. Ni qu’elle fut fasciste, ni qu’elle fut résistante. Ni, surtout, qu’elle fut déportée. »

La lutte commence, et tous les coups sont permis. A trente euros la page, Maurice, le narrateur, contourne la règle :

« Je sélectionne tout le premier chapitre, je passe de la police Helvetica 12 points à la police Times 16. »

Les protagonistes se rendent coups pour coups :

« 19*30 euros = 570 euros.  Bravo, tu es le premier auteur pour myopes. Le Père de l’auteur. »

La narration oscille entre des passages du roman écrit par le narrateur et un récit à la première personne, plus personnel. On y voit les coulisses de l’écriture mais aussi les blessures de Maurice qui ne parvient pas à devenir écrivain et utilise de façon cathartique sa machine à écrire :

« Parfois, je tapais si fort qu’un caractère trouait le papier… Je cognais les touches. Je castagnais leurs noms. »

La relation père-fils se dévoile crescendo, les blessures du passé jamais digérées aussi :

« Quand mes neuf ans inquiets posaient un poème sur son bureau. Il le jetait à la corbeille. »

Rosa est un triptyque entre la seconde guerre mondiale, les dessous de l’écriture et une relation père-fils cinglante :

« Et le père va payer, vraiment, à chaque ligne. »

Les chapitres alternent, le narrateur se prend à l’histoire, attendant que le père la lise enfin. On nous livre les chapitres au compte-goutte avec un petit côté page-turner parfois grossier, mais malgré tout maitrisé :

« Quatre jours après que le vieil homme m’eut dévoilé ce terrible secret que je révèlerai à mon père au dernier chapitre de mon roman. »

On découvre aussi une facette moins manichéenne de la guerre ; adieu les nazis, ici on parle surtout de l’Italie et de sa fracture avec Mussolini. On voit des soldats fascistes italiens horrifiés par les actes de la Wehrmacht. L’armée se scinde en deux camps et la population est divisée entre le fascisme et résistance.C’est une fiction documentée, reprenant des épisodes de la guerre pour rendre hommage aux victimes.

Ce roman est celui d’une famille italienne devenue belge, sous la plume d’un écrivain torturé qui écrit avec violence :

« Les mots s’écrasent, les belles phrases tâtent du plancher, les auteurs s’affalent, les voilà en tas, violés, une tirade de Sartre enlace la saloperie d’un Brasillach, Céline baise Mallarmé… »

L’hommage à l’Italie que l’auteur rêve au travers des récits de son grand-père, se transforme en ode à la Belgique, Marcel Sel contourne les clichés pour créer son univers :

« Je me suis rendu compte que ma ville, que je croyais détester, pouvait me manquer. Oh, je ne parle pas des quartiers cossus du sud, mais de son centre, de son cœur, de ses maisons centenaires… »

Rosa est un livre complexe, mêlant les récits. On y trouve une écriture brutale, le mal-être de l’écrivain est bien retranscrit et on tourne avidement les pages pour connaître le destin des personnages torturés par la guerre. On pourrait cependant regretter une fin trop rapide et trop heureuse.

Même rédacteur·ice :

Rosa

Marcel Sel

ONLIT éditions , 2017

300 pages