Selon Alfred de Vigny, « l’ennui est la maladie de la vie ». Dans le nouveau roman de Mathilde Alet , Juliette, pour échapper à l’une, va devoir affronter l’autre. Sexy Summer retrace le récit d’une jeune fille qui se voit contrainte de troquer Bruxelles pour les Ardennes et ses migraines pour l’ennui.
Juliette souffre d’électro-hypersensibilité. Les ondes créent des tableaux à la Pollock dans sa tête, la douleur en plus. Elle n’a pas le choix : il lui faut quitter la ville.
C’est au sud, a dit son père, quand elle a voulu savoir où se trouvait Varquemachin. Au sud. Comme si les Ardennes avaient quelque chose à voir avec la Côte d’Azur. Cette campagne n’est même pas celle des week-ends hors la ville, bucolique, avec vue dégagée sur une vallée de fleurs. C’est une campagne de bord de route (…) La zone la plus blanche de Belgique, a encore dit son père. Enfin, une des, pour être précis. (…) Regarde ma fille rien ne passe : pas d’Internet mobile, pas de GSM, un vrai miracle ! Ils ont choisi leur nouveau lieu de vie selon l’intensité du vide .
La campagne est pour Juliette à double tranchant : un salut qui résonne comme une condamnation ; une bulle d’apparente sécurité qui semble temporairement la protéger du monde – des ondes, des maux de tête, de son chagrin d’amour, du regard de ses camarades –, mais qui surtout l’en coupe. Un espace où le temps s’ennuie, où il ne s’écoule plus mais semble au contraire s’épaissir. Gluant, il colle à la peau, comme cette angoisse étrange, comme la chaleur moite de cet été caniculaire. Tout ce qui entoure Juliette est silencieux, vide, vieux ou mort. Elle qui ne souhaite que de l’accélération, qui ne rêve que du jour « où sa vie commencera vraiment », où elle deviendra enfin une femme digne de ce nom, de préférence au volant d’un taxi nocturne en pleine mégalopole, se voit obligée de stagner. D’attendre. Comme dans son cauchemar, Juliette court sur place, essoufflée, mais sans avancer d’un pouce.
Les journées mornes se succèdent. Le soleil brûle le paysage, la verdure prend un coup d’automne en plein juillet, les herbes jaunes s’effritent sous les sandales. (…) La nuit, les rares lampadaires s’éteignent à minuit. Alors la nuit devient puits, les étoiles n’y peuvent rien. Juliette attend.
Juliette, 14 ans, prise dans la chrysalide de l’adolescence, plus tout à fait chenille mais pas encore papillon, aimerait se construire, être moins transparente, trouver les mots justes au bon moment, mais ignore comment. Ses chaussures ont beau être à talons compensés, elle enlace encore un ourson en peluche en se promenant.
« Tout changement est difficile au début, compliqué au milieu et magnifique à la fin » (Robin Sharma) : cet été de transition n’est simple pour aucun membre de la famille. Les doutes, la nostalgie, la désorientation, la colère d’avoir été contraints de fuir s’entremêlent dans le foyer de Juliette. Cette campagne est « à la fois trop grande et trop petite ». Comme elle. Heureusement, la fin du roman et le passage des saisons semblent promettre évolution et apaisement : Juliette commencera enfin à se sentir chez elle ; les mots coincés dans sa gorge trouveront leur chemin vers l’air libre.
Sexy Summer charme par sa simplicité et sa belle plume innocente, tout comme il choque et bouleverse. Imagé, au langage légèrement enfantin, presque dénué de dialogues, il est silencieux, rêveur et sensible, à l’image de sa protagoniste. Puis il devient brutal, en écho à ce malaise qui s’était installé en nous dès le début. Il montre crûment que l’adolescence, avec son lot de mal-être, de harcèlement, de violence, est aussi dangereuse. Il révolte en soulignant le destin des marginalisés, des boucs émissaires.
Mais tiens-la, putain ! Mais je la tiens, merde ! C’est des conneries tout ça… Allergique aux ondes, ben voyons. Et pourquoi pas aux arbres, aux bagnoles, aux vieux ? Pourquoi pas allergique aux ombres ? On en a vu des bizarres mais des comme toi…
Sexy Summer conscientise, en rappelant que les ondes qui nous entourent, bien qu’invisibles, sont une réalité loin d’être inoffensive.
Florence trouve que ce n’est pas aux gens malades d’être honteux. Un jour en réunion elle a tenu un discours glorieux : si mon corps souffre, elle disait, c’est pour lancer l’alerte. Je suis un canari dans une mine de charbon. Je suis la première à crier.
Mais attendrit aussi : Juliette se rafraîchit dans la mer des yeux de son voisin, Tom. Leur relation timide, hésitante, maladroite permet d’alléger l’atmosphère assez morbide, oppressante de Varqueville. Le roman fait mal mais console également ; il touche, car il parvient à éveiller la petite Juliette trop frêle, le petit Tom trop gros, que chacun d’entre nous a été à un moment ou un autre, d’une manière ou d’une autre, et qui, l’espace d’un souvenir, d’une lecture, d’un pincement au ventre ou au cœur, existe encore confusément en nous.