critique &
création culturelle
Sous le sable, la bande dessinée populaire :
le CBBD se dépoussière dans son Dessableur

Le Centre belge de la Bande dessinée sort une nouvelle revue trimestrielle Dessableur , qui ravira les passionné.e.s et les curieux.ses de bande dessinée populaire. Plongée dans le premier numéro de mars 2021.

Comme l’édito de ce premier numéro l’annonce, « le nom ‘Dessableur’ est une image évoquant un dépoussiérage de l’institution [du CBBD] située rue des Sables ». Ainsi, le but de la revue se déclare être de « mettre en lumière des sujets et auteurs qui ne sont que rarement, voire jamais, abordés dans le musée ». Ce premier numéro paru en mars dernier donne le ton, oscillant entre légerté et articles de fond.

La bande dessinée étant un genre qui peine aujourd’hui à acquérir sa pleine légitimité dans le champ littéraire, cela fait plaisir de voir un musée qui y est consacré renouer avec ses racines populaires. La revue se découpe en une présentation de « Supermatou », une œuvre de Jean-Claude Poirier qui paraissait dans les années 70 dans le fameux hebdomadaire Pif-Gadget . Cet article sera une madeleine de Proust pour certain.e.s, une découverte pour d’autres, les planches de Poirier étant aujourd’hui difficilement trouvables. L’article de Moaj m’Bien semble être davantage une présentation de fan qu’une analyse approfondie, mais c’est un plaisir à lire. Il permet de remettre en perspective et de faire un tour d’horizon d’une bande dessinée inscrite dans son époque malgré sa légèreté apparente. m’Bien conclut par un « une chose est sûre, moi, j’aime bien », et c’est en effet ce qui ressort de ses lignes. C’est un partage qui illustre bien le principe de Dessableur, à savoir une remise au goût du jour d’une bande dessinée un peu tombée dans l’oubli, accompagnée d’illustrations choisies de belle qualité.

L’article plutôt « de fond » de la revue est le dossier sur la bande dessinée muette signée Sébastien Ory. Ce genre souffre un peu d’un manque de connaissance – et de reconnaissance – du public, malgré le fait qu’il nécessite une grande maitrise technique et possède une histoire presque aussi ancienne que celle de la bande dessinée classique. C’est justement cette histoire que retrace Ory de façon aussi fouillée que le permet la brièveté de son article, tout en citant force d’exemples, de Quino à « Petit poilu », qui vous donneront à coup sûr envie de remplumer votre pile « à lire ».

Les recommandations de l’équipe de Dessableur est en effet selon moi un de ses attraits principaux, car malgré un effort considérable de synthèse, les articles « de fond » laissent un peu sur sa faim, en voulant aborder de vastes sujets en peu de mots. Les articles ont en tout cas le mérite de susciter l’envie d’aller plus loin à travers les différents albums évoqués, la rubrique « Les conseils de la Bédéthèque » (dont on imagine qu’elle sera récurrente) et les actualités du musée.

La revue se conclut sur un focus sur la bande dessinée belge avant 1930, se centrant sur Le Déluge à Bruxelles (1843) de Richard de Querelles, dont on retrouve une sélection de planches introduite par un strip sur la vie de l’auteur par Frédéric Paques et Hugo Piette. C’est une véritable plongée dans les débuts d’un genre qu’on associe pourtant souvent – surtout en ce qui concerne la bande dessinée franco-belge – à son âge d’or (les années 1940-60) mais dont le grand public connait peu les balbutiements. On découvre dans l’œuvre de Querelles des débuts qui sont presque aussi anciens que l’indépendance de la Belgique et ainsi pleinement inscrits dans l’histoire du pays. Les extraits proposés montrent une naissance du genre étroitement liée avec une culture populaire et dissidente, avec ses caricatures de la bourgeoisie bruxelloise de l’époque. C’est ainsi que la boucle de Dessableur est bouclée, avec des bandes dessinées diverses, joyeuses, revendicatrices. J’ai pour ma part hâte de suivre les prochains numéros du trimestriel !

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