Thomas Gunzig
La Vie sauvage , le Tout Nouveau Testament , Kiss & Cry … Entre romans, nouvelles, bandes dessinées, scénarios pour le cinéma et théâtre, sans oublier ses chroniques radiophoniques : Thomas Gunzig est ce qu’on appelle un auteur belge à succès ! Rencontre sur Karoo, où il s’épanche sur son rapport au travail, mais aussi à l’autre.
9 h 30, bar du Matin, aux limites de Saint-Gilles, d’Uccle et de Forest. Ses écouteurs branchés sur son MacBook ouvert, les yeux rivés sur l’écran, sourcils froncés par la concentration, Thomas Gunzig est retranché dans le coin le plus calme de la pièce, juste à côté des cuisines. Sur la table, un verre vide d’espresso et un thé à moitié entamé viennent prouver que, pour lui, la matinée a commencé depuis longtemps. Dos au mur, il lève les yeux dès que la porte d’entrée s’ouvre. Son placement est stratégique et réfléchi : observer les autres, c’est la clé de son métier d’auteur. Entre scènes de vie, mouvements et brides de discussions lointaines : travailler dans un café est un stimulus constant pour son imagination et ses futures histoires.
Autre avantage du lieu : le bruit ambiant qui lui permet une plus grande concentration. « Tant qu’il y a de l’inspiration, le lieu importe peu. Écrire, on peut faire ça partout ! Un café, une salle de sport… Même le hall d’une gare, ça irait, c’est juste que je n’en ai pas encore trouvé une qui soit aussi confortable qu’ici. » Le seul lieu où il est improductif est un bureau, incarnation même du travail. « Travailler, c’est pas cool, personne n’aime ça. Même si on aime son boulot, c’est toujours déprimant. » Alors travailler dans un café, c’est plus attractif et ça lui donne l’impression de juste passer du bon temps.
Et pour neutraliser cette impression de travail, rien de mieux que de croiser du monde. Copains, clients, serveurs : il entrecoupe volontiers son activité avec quelques conversations. De nature discrète, il se considère comme une célébrité anonymisée. S’il est loin d’être une rock star ou un sportif adulé, il reconnaît jouir d’une certaine notoriété, et ses habitudes dans le quartier sont connues de ses fans. C’est par exemple le cas d’André, qui interrompt l’interview pour discuter et faire signer un exemplaire de son dernier livre à l’improviste.
Malgré ces interactions qu’il recherche et affectionne, c’est le côté solitaire qui lui plaît le plus dans sa profession. De tous les genres qu’il pratique, c’est à l’écriture de romans que va sa préférence. Seul point noir au tableau, la promotion : « Les salons, c’est chiant ! Il faut juste attendre et signer des livres, ce n’est pas très stimulant. » Si c’est un métier où il est seul, il contrebalance cette situation par le fait que ses personnages prennent vie autour de lui au fur et à mesure de son écriture. Travailler seul lui permet aussi d’aborder des thèmes qui lui sont chers. « Je sais ce qui se vend, et ce n’est pas vraiment ce que j’écris. Mais je n’arriverais pas à faire autrement. Je suis libre d’écrire ce que je veux, et j’écris ce que j’aime : c’est ça qui compte. » Proches du réel, avec une touche de fantastique, de science-fiction et de romance, ses histoires mettent souvent en scène des antihéros dans une critique de la société.
Il se lance généralement dans ses autres projets après avoir reçu une invitation. C’est d’ailleurs ainsi qu’il a commencé à travailler avec Jaco Van Dormael sur le spectacle Kiss & Cry . Après avoir lu ses nouvelles, le cinéaste a fait appel à lui pour plusieurs scénarios, comme celui du Tout Nouveau Testament , coécrit avec Jaco Van Dormael et récompensé en 2016 au Dublin Film Festival ainsi que par un Magritte. Conscient de l’honneur que ces invitations représentent, Thomas Gunzig avoue ressentir une double pression face à un tel enjeu et une telle confiance. De plus, l’écriture d’un scénario est plus cadenassée que celle d’un roman. Au cinéma comme au théâtre, il y a des contraintes de collaboration, de budget, de temps et d’espace… Impossible de faire un film de huit heures, même s’il y avait des millions de choses à dire. C’est donc sans surprise qu’il souligne sa prédilection pour la littérature qui stimule son imagination sans limite :
« Si, dans mon livre, je veux faire apparaître huit mille ninjas dans un café, alors qu’on est à Bruxelles, en plein milieu d’une interview, qu’est-ce qui m’en empêche ? »
Pour Thomas Gunzig, la passion de l’imaginaire est étroitement liée à un amour de la langue française et de la littérature. Pourtant, ce n’était pas nécessairement gagné d’avance, ayant été diagnostiqué dyslexique durant son enfance. La dyslexie, cependant, il la voit comme un mot fourre-tout, « un mot-valise », comme il l’appelle. « Difficulté en orthographe, en lecture, en écriture, ou même juste avec les chiffres : tout y passe ! » Finalement, il considère l’épisode comme anecdotique : « On m’a dit que je l’étais, mais ça ne m’a pas empêché de faire quoi que ce soit. »
Sa seule réelle difficulté au travail : la radio, qu’il perçoit comme une obligation, et non comme un plaisir. Sur la Première le mercredi matin à 7 h 45 avec sa chronique Café serré , il apporte son point de vue sur l’actualité politique. Et si la critique sociétale fait partie de ses thèmes favoris, cette chronique trop terre à terre lui demande un effort considérable. Ses deux seules motivations pour continuer : les retours de ses auditeurs et surtout la rentrée d’argent que cela représente. À 150 euros le billet, le salaire n’est pas énorme, mais reste indispensable pour sa famille.
En couple depuis plusieurs années, Thomas Gunzig est le papa de trois enfants de cinq, douze et seize ans. « On parle toujours du bonheur que c’est d’avoir des enfants mais on ne dit jamais à quel point c’est la galère ! » C’est sa vie de famille qui lui impose horaires et rythme de travail. Si elle lui apporte motivation et soutien, elle est aussi synonyme de pression, de moins de temps et de liberté. Il reconnaît toutefois que son métier lui permet d’être présent pour ses proches : « Être auteur, c’est quoi ? Trois à quatre heures de travail par jour… » Au bout de trois SMS de ses enfants (« C’est les vacances de Toussaint, alors tout le monde est dans le coin ! ») et un appel de sa compagne (« Dis, mon lapin, je suis en interview, mais non, non dis-moi, t’inquiète pas ! »), on comprend que sa famille est un élément central de son quotidien. Il confie toutefois qu’il serait prêt à changer radicalement de mode de vie et à s’exiler au Canada (« Près d’un lac, isolé dans une forêt, comme ça… ») pour toujours un peu plus de solitude, peut-être.
TOUTE AUTRE CHOSE
Un auteur…
« Je me suis surtout inspiré de la littérature américaine des années 1960-1970 : Bukowski, Selby… Mais peut-être aussi de la littérature assez classique française : Flaubert, des gens comme ça. Et peut-être certains Japonais, comme Murakami. C’est très hétéroclite, il y a tellement des bonnes choses partout dans le monde ! »