Rêvant sur l’infinie complexité du langage, une idée me vint. Puis aussitôt s’échappa. Malgré une considérable absence de fenêtre et de toute espèce d’issue à cet espace réduit où se consume... appelons ça ma vie. Bien sûr, il y avait un livre à portée de main. Mais j’avais cessé toute activité intellectuelle depuis des lustres déjà. La seule chose qui animait, quoique faiblement, mon cerveau malade était la lecture du calendrier. Surtout les jours de semaine, les noms des saints, le partage des saisons. J’étais devenu si parfaitement inutile à moi-même que la simple évocation d’une activité mentale avait tôt fait de me plonger dans des abîmes de sommeil. Je n’étais plus que nuage de ténèbres, brume inconscience, doute personnifié. Enfin transfigurée en un écho de lettres mortes, jamais envoyées, jamais reçues, ma lamentation n’avait plus de borne. Je me levais cependant à heures régulières pour adresser mes remerciements distingués aux géniteurs, aux membres du personnel de l’établissement pénitentiaire dans lequel s’écoulait ma prétendue existence, ainsi qu’aux fantômes qui m’avaient si parfaitement berné que je m’étais retrouvé enfermé à double tour dans cet obscur donjon de l’absurde sans que je comprenne ce qui était en train d’arriver. La fatalité n’est pas autre chose. Voilà longtemps que quelque chose planait. Maintenant – oui, l’éternité de ce « maintenant » hors d’usage je prends la mesure de cet événement terrible. Et je ris aux éclats. En toute discrétion, naturellement, pour ne pas réveiller les gardiens. Il y a ici un pot de chambre. On entend le murmure d’une rivière non loin... peut-être y déverse-t-on le résultat de nos épreuves digestives ? Le reste par colis postaux, sans doute. Nous recevons bien du chocolat... chaque vendredi soir, avec un grand verre de lait. Souvent, quand l’ennui est trop perfidement mortel, je joue du trombone à coulisse. Ou bien, j’emprunte une voix étrange et, remuant des mains dans l’invisible, je dessine des ombres chinoises sur l’un des murs pendant qu’une sorte d’histoire émane du fond de mes entrailles. Je ne calcule plus. Je ne calcule plus du tout. Et puis, il y a une porte. Mystérieuse. Parfois, on y toque, doucement, tout doucement. Parfois, quelqu’un, du moins c’est mon impression, semble chanter, si doucement. Comme une caresse de l’air. Est-ce mon imagination ? Quand on est enfermé, les choses présentent de curieux aspects. Comme des visages terrifiants. Une fois, il y a longtemps, j’ai pris l’avion. C’était pour aller dans une île du Pacifique. Eh bien, cela n’a absolument rien à voir. Pas comparable ! Positivement incomparable. Dans la salle, il y a un homme. Du moins, il y en avait un. Il a disparu. Mais ça alors ? Qu’est-ce que c’est que... ? La porte s’ouvre. Tout le monde est parti. Les astres durent longtemps. L’éclair nous dure. Où est mon temps ? Le cahier ou la montre ? Avec ou sans papier ? Noël, ou bien ?