critique &
création culturelle
    Rétrospective culturelle 2022
    Les coups de cœur d’Élise Debière

    Se retourner pour observer 2022 à l’aune de ses sorties culturelles est un exercice assez incroyable et quelque peu difficile, on oublierait presque toutes les perles que nous avons pu découvrir. Pourrait-on définir l’ambiance générale d’une année sur base des œuvres qui y ont été produites ? En tout cas, la mienne a été remplie de récits intimes à la fois hors du commun et pourtant très familiers…

    Close , de Lukas Dhont (novembre 2022)

    Je n’ai pas hésité une seconde avant de classer Close en tête de ma rétrospective. Le film de Lukas Dhont , grand prix du Festival de Cannes 2022, m’a profondément touchée. Je peux compter sur les doigts d’une main les œuvres devant lesquelles j’ai pleuré, et Close en fait partie. Lorsque l’écran s’est obscurci et que le générique s’est enclenché, mon esprit a réalisé l’intensité de ce que je venais de visionner, et les larmes ont coulé sans s’arrêter. Le film dépeint l’histoire de Léo et Rémi, deux garçons liés par une amitié fraternelle comme on en voit rarement entre deux personnages masculins, remplie de douceur et de sincérité. La préadolescence et l’entrée en secondaire vont pourtant les éloigner, et c’est tout en humilité que Lukas Dhont en raconte les conséquences sur la vie respective de ces deux protagonistes. Close est à la fois un récit intime et personnel, mais également une mise en lumière des impacts négatifs que peuvent porter les stéréotypes de genre associés à la masculinité…

    Bagarre érotique , de Klou (janvier 2022)

    Dans un style beaucoup plus léger, sans pour autant que le sujet le soit, j’ai choisi de présenter Bagarre érotique , premier roman graphique de Klou. Cette dernière est une travailleuse du sexe de 24 ans, qui exerce son métier depuis quelques années à Bruxelles. Dans un style graphique gothique, elle nous raconte son quotidien, de ses premières passes à son engagement auprès d’UTSOPI, un syndicat de et pour les travailleur·euses du sexe. Pour toutes les personnes extérieures au milieu, la BD est une joyeuse claque dans la figure. L’autrice prend le temps de déconstruire tous les préjugés qui peuvent graviter autour de la prostitution avec un humour décapant et acerbe. Bagarre érotique est également un plaidoyer pour une reconnaissance légale du travail du sexe et pour la fin de l’hypocrisie des autorités qui refusent de prendre les mesures de protection demandées par les TDS 1 . Avec son roman graphique, Klou nous envoie un message clair : il faut écouter et travailler avec les premier·ères concerné·es au risque de faire pire que bien. « Pas de féminisme sans les putes ! »

    Sorti en septembre 2022, le premier roman de Juliette Rousseau (paru dans la géniale collection Sorcières de la maison d’édition Cambourakis ) a été un de mes plus gros coups de cœur littéraire de cette année. La vie têtue est un livre qui peut être classé entre la fiction et le documentaire féministe. En se basant sur sa propre histoire familiale, Juliette Rousseau nous livre un magnifique exemple de la puissance de plusieurs générations de femmes face au monde patriarcal dans lequel elles ont grandi ou grandissent. À travers de courts chapitres entrecoupés de poèmes, l’autrice décrit alternativement des tranches de vie de sa mère et de sa grand-mère. La chronologie des évènements n’est pas spécialement respectée. Ce qui relie tous ces petits bouts, c’est le fil conducteur que représente la mort de la sœur de la narratrice. C’est à partir de cet évènement, et à travers son processus de deuil, que Juliette Rousseau remonte dans ses racines familiales maternelles. On est touché par l’intensité pourtant très sobre de ces histoires qui s’entremêlent et qui dressent une fresque familiale sous le prisme de l’oppression historique des femmes.

    9 mouvements pour une cavale , de Michel Bernard (18 octobre 2022)

    C’est au théâtre Le Rideau que j’ai pu découvrir 9 mouvements pour une cavale , basée sur un livre de Guillaume Cayet. Dans une mise en scène minimaliste de Michel Bernard, trois femmes nous racontent l’histoire vraie de Jérôme Laronze, un agriculteur de 36 ans abattu par un policier en 2017. Une comédienne joue la sœur du défunt, une chanteuse lyrique et une violoncelliste accompagnent le texte. La pièce nous narre les évènements qui ont précédé la fuite de neuf jours de l’agriculteur et de son décès par trois balles. On découvre un monde rural âpre qui épuise les petit·es agriculteur·rices, écrasé·es par la concurrence des grosses entreprises agro-industrielles. Jérôme fait partie de ces paysan·nes qui refusent d’utiliser les techniques de traçage sanitaire sur ses bêtes. Il possède un petit cheptel, connaît ses vaches, et ne comprend pas cette imposition du « haut », des autorités qui ne connaissent pas sa réalité. Mais les gendarmes continuent de faire de plus en plus de descentes chez lui pour lui mettre la pression. Un jour, Jérôme perd le contrôle, prend son tracteur et, dans un moment de rage et de folie, s’enfuit. S’en suivent neuf jours de cavale, durant lesquels il repasse de temps en temps à sa ferme, la nuit, pour voir ses bêtes. Au neuvième jour, pour l’arrêter, un gendarme fait usage de son arme et tue Jérôme…

    Pikovaya Dama , de David Marton, sur base de l’œuvre originelle de Tchaïkovski (septembre 2022)

    Je termine par Pikovaya Dama , la Dame de pique en français, que j’ai eu l’occasion de voir au théâtre de La Monnaie, le 13 septembre 2022. Cet opéra de Tchaïkovski , basé sur la nouvelle éponyme de Pouchkine, est ma première rencontre avec le style. Et quelle rencontre ce fut ! Je suis directement devenue une adepte, scrutant avidement quels autres opéras pourraient me plaire. Cette production m’a tout de suite attirée grâce à l’angle adopté par le metteur en scène, David Marton. L’histoire est replacée dans les années 80, avec, dans certaines scènes, son lot de personnages masculins en jeans et vieux imperméables aux couleurs fluos. La narration est rythmée par des décors psychédéliques et de nombreux chants populaires en différentes langues. Selon un schéma assez classique, on suit Hermann, un officier, qui tombe amoureux de Lisa, une jeune fille de haute naissance promise à un autre. Après des débuts enflammés entre les deux personnages, Hermann, déprimé par la situation, se détourne progressivement vers son autre passion dans la vie : le jeu. On apprend que la grand-mère de Lisa possède un secret bien gardé : une combinaison gagnante de trois cartes. Hermann se retrouve alors face à dilemme : soutirer, par la force si nécessaire, les trois symboles auprès de la Comtesse, ou tenter de vivre son amour interdit avec Lisa…

    Pour faire découvrir l’œuvre, La Monnaie a rendu disponible tout l’opéra en streaming à cette adresse ;)

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