critique &
création culturelle
Devenir Lulu sans Gainsbourg

Après un album de reprises de son père (From Gainsbourg to Lulu) et des années de silence, Lulu Gainsbourg offre Lady Luck , un album personnel dans lequel il se dévoile pour la première fois. Murmuré, mélancolique et musicalement mûr, l’album fait preuve d’un grand éclectisme tout en ayant un style singulier et original, le style Lulu.

Pianiste professionnel formé à Londres puis aux Etats-Unis , le demi-frère de Charlotte Gainsbourg s’était fait connaitre en 2011 avec un album hommage à son père. Pour l’anecdote, il l’avait déjà initié à la musique sur la scène du Zénith lorsqu’il n’avait que deux ans. Son succès avait été essentiellement dû aux special guests présents en grand nombre (M, Scarlett Johansson, Johnny Depp,…) et les critiques lui avaient souvent reproché son ancrage trop profond à l’œuvre paternelle.

En 2015, le voici lancé dans un projet beaucoup plus personnel. Même si l’influence de Serge reste sensible dans certains arrangements ( Destiny , un hommage qui lui est adressé) et dans la voix murmurée, impure comme dans les derniers albums de son vieux, il prend également une distance tout au long de l’album. Le choix exclusif de l’anglais marque également ce détachement malgré son savoureux French accent. « Je ne vais pas m’empêcher d’exister parce qu’il y a le grand patron qui est au-dessus » avoue-t-il dans On n’est pas couché le 7 février.

Éclectique et diversifié sont les adjectifs les plus appropriés pour parler de Lady Luck . En 12 chansons, des univers différents se côtoient, passant de titres assez pop ( Let it Go , Love on the Rocks ) à une touchante ballade chantée en duo avec l’actrice Anne Hathaway ( The Cure ). Cette hétérogénéité se retrouve aussi à l’intérieur des chansons. Moushka , un hommage délicat à sa mère Bambou dans un tempo lent, laisse la place en fin de morceau à un solo de guitare rock avant de reprendre la mélodie à la voix accompagnée de l’omniprésent piano de l’artiste. Lulu, sur son site officiel, affirme lui-même : « j’aime les mélanges, je ne voulais pas donner une seule couleur à ce disque . J’aime aussi bien Coldplay que Miles Davis, The Rolling Stones que Michael Jackson. » Cette qualité est sans doute héritée de l’œuvre de son père : il n’avait pas cessé de diversifier sa production en s’essayant au jazz, au reggae, au rock et au funk.

Le seul clip vidéo, Lady Luck , met en place le même univers et les mêmes couleurs que la couverture (brune aux lèvres sensuelles, as de pique) avec un côté too much qui n’a rien d’original. Introduite par un bref riff de basse, la chanson, dès les premières secondes, place une ambiance très funk. Sur cette base rythmique dansante, la voix, ou plutôt la demi-voix qui semble être le rauque résultat héréditaire des innombrables Gitanes de Gainsbarre, se place sensuellement en créant une ambiance intimiste. Plus pop, plus commerciale, cette chanson n’est pas la plus représentative de cet album plein de surprises et il serait injuste de le réduire à ce clip banal.

Peu importe les critiques que susciteront cet album, Lulu Gainsbourg a pu enfin y exprimer sa singularité musicale et se délivrer de son étiquette de « fils de ». Lui qui ne voulait pas partir en tournée avec From Gainsbourg to Lulu , prévoit d’ailleurs de se lancer sur les planches prochainement.

Même rédacteur·ice :

Lulu Gainsbourg
Lady Luck
Universal Music France, 2014