critique &
création culturelle
Fragments d’une rencontre avec Alterlight

Le groupe de rock liégeois Alterlight a publié début 2022 Fragments , un EP « concept » parcouru d’influences hybrides et aux accents cinématographiques. Rencontre liégeoise avec un groupe fonceur mais les pieds sur terre, à l’énergie et à la passion communicative.

Liège est bien connue pour être un vivier riche et prolifique en termes de musique alternative. Cristallisée par des collectifs et labels comme JauneOrange pour le plus connu, elle est représentative d’une fraction d’une scène musicale belge que je suis avec grand intérêt depuis mon adolescence. Un esprit DIY et d’effervescence locale qui aura finalement fait pointer les radars sur elle, peut-être davantage que sur d’autres villes belges.

Il y a une scène musicale, il y a une ambiance musicale, tout le monde s’entraide, fait des remplacements, rend service. Liège c’est petit, on se croise vite, il n’y a pas beaucoup de lieux pour jouer. (Paolo)

Alterlight en ont hérité cet attrait pour la collaboration, l’entraide (indispensable pour « arriver à quelque chose ») et l’énergie directe qui la caractérisent. Mais également un certain attachement pour une scène rock alternative anglophone et des années 90. J’ai eu l’occasion de rencontrer trois de leurs membres, Paolo, David et Stéphane, pour parler de leur nouvel EP, de parcours croisés et rêves musicaux. Échange foisonnant lancé sur un fond sonore de Smashing Pumpkins.

Fragments de vie et de parcours

Formé en 2016, Alterlight a d’abord sorti un premier EP, Grace , en 2017, suivi d’une poignée de singles, de concerts, tremplins et résidences qui leur ont permis de se faire doucement mais sûrement un nom sur la scène musicale liégeoise (et récemment aussi à l’étranger). Fragments est leur EP suivant, publié en février sur le label M&O Music. Sur le site et la description spotify du groupe, on peut lire que Fragments, bien que cité comme comme un EP (mais classé en tant qu’album), est loin d’en être un à la « manière classique » d’un avant-goût, celui « d’une transition avant le premier album ». Le groupe offre un EP qui a déjà les allures d’un projet abouti et réfléchi, sur seulement 23 minutes, avec un travail en amont sur l’agencement et sur les thématiques. Il en ressort ainsi un album énergique mais varié, mêlant rock, pop, classique et électro, nourri des parcours de chacun, le croisement étant un marqueur important pour la formation.

Paolo , chanteur, compositeur et guitariste a d’abord été batteur plusieurs années : « Il y a 10 ans, j’ai voulu créer un groupe où je chante et joue mes compositions avec d’autres musiciens et j’ai donc lancé Alterlight avec des musiciens liégeois. Mes influences étaient fort centrées sur ce que j’écoutais ado : du pop rock alternatif, que ce soit Weezer, Placebo ou Muse. Et dans ce qui est plus actuel, ça peut être même du metalcore, des musiques très synthé, avec beaucoup de recherches au niveau des sons. Deftones et Linkin Park aussi sont restés des groupes avec une énorme influence sur moi, le premier pour les ambiances, la lourdeur du son, les mélodies, le chant un peu aérien et en même temps l’énergie. Et pour le second, les refrains et mélodies très accrocheuses, pop. »

Pour moi la pop et le rock c’est deux univers qui, quand ils sont bien mis ensemble, peuvent vraiment être efficaces. J’adore les mélodies et j’adore le groove. (Paolo)

Ce qu’on retrouve dans des titres comme « Burial », morceau plus dépouillé qui fait briller les mélodies vocales.

David, le guitariste, le rejoint dans son intérêt pour la scène pop rock et alternative des années 90. « L’album bleu de Weezer, c’est le premier que j’ai acheté. Je trouve que, niveau pop rock, il a rarement été égalé. Dans ce groupe-ci, j’ai surtout amené tout ce qui était guitares et sons à la War On Drugs, qui est un groupe que j’écoute beaucoup. On a tous une attention particulière pour la mélodie, que j’essaie d’apporter via les lignes de guitares. » Il a aussi amené des chœurs de la folk et country, genres qu’il affectionne particulièrement (et que l’on retrouve dans son projet solo : David Lombard). Également chercheur en littérature et linguiste, David part des expériences personnelles du chanteur qu’il aiguille vers quelque chose de plus poétique, métaphorique.

Laisser une universalité dans l’interprétation, c’est ça qui fait les meilleurs textes je pense, et l’expérience personnelle crée quelque chose qui peut-être lu de mille façons. (David)

Stéphane, qui est batteur, a d’abord un parcours plus classique. « J’ai commencé la musique par le piano quand j’avais 7 ans ; après j’ai voulu jouer d’un instrument de groupe, d’un truc vraiment collectif et j’ai donc choisi la trompette. » Baigné dans le classique et passionné de musique de films jusqu’à ses 18 ans, avec des références comme John Williams ou Ennio Morricone, c’est plus tard qu’il découvre le rock et la pop et se met à la batterie, toujours dans le but de jouer en groupe. Son bagage plus classique et technique lui donne davantage une casquette d’arrangeur et de producteur au sein du groupe.

Également membres et grands piliers du groupe mais malheureusement absents ce jour-là : le bassiste et seconde voix Sylvain a par le passé été batteur dans des groupes de métal ; Jérôme, le claviériste (de formation classique comme Stéphane), joue quant à lui dans plusieurs groupes liégeois, revendique pour groupe préféré Balthazar et adore autant la brit pop, l’électro, que Clara Luciani.

On a des éthiques de travail un peu différentes, mais qui se complètent. Moi j’aime garder une certaine spontanéité dans la composition, une façon émotionnelle de composer, de chercher des mélodies en partant de riffs, d’idées et de thèmes que j’amène au groupe et qu’on va ensuite peaufiner ensemble. (Paolo)

Récits de deuil

L’album se présente comme six instantanés de vie, fragments qui s'ouvrent par un prologue et se referment sur un épilogue, formant ainsi une boucle. Il raconte une histoire progressive composée de plusieurs « fragments de vie et de sonorités » qui ont mis quelque temps à être mis bout à bout, pour former un tout cohérent.

Je vois l’album comme un espèce de « voyage sur la courbe du deuil ». (Stéphane)

Un enregistrement aussi marqué par le confinement, qui aura eu des conséquences, pas forcément négatives, sur l’évolution du projet, dont Paolo me raconte la genèse : « On a d’abord composé deux morceaux (“Burial” et “Rebirth”) bien avant le reste de l’EP, dans un premier studio. Et les thématiques pour ces morceaux plus pop, ça a d’abord été, pour “Burial” les rapports difficiles qu’on peut avoir avec une personne, le conflit, la rupture et comment on s’en sort. “Rebirth” est arrivé au milieu du premier confinement et parlait justement d’espoir et de se remettre en selle après être tombé le plus bas possible. C’était deux morceaux assez forts au niveau de l’espoir et de ce que je ressens souvent dans la vie en fait, par rapport aux événements. »

Un changement de studio causé par le confinement, dont sont sortis des morceaux assez différents, ce qui a fait questionner le groupe sur la manière de tout assembler de manière cohérente : « Plein de choses sont arrivées, on a donc eu plusieurs périodes et plusieurs sonorités qui se sont rassemblées et ont formé l’EP. » Le choix du titre lui est alors venu assez naturellement : « J’ai proposé le mot “fragments”, qui peut en plus se dire en anglais comme en français. » La pochette, quant à elle, provient d’un fragment d’une peinture du parrain de Paolo : « Je lui ai demandé s’il pouvait me faire quelque chose avec cette thématique-là et il m’a dit d’aller voir ses œuvres et d’en choisir une que j’aimais bien. J’ai vu cette énorme œuvre, dans laquelle j’ai pris une toute petite partie, qui est devenue la pochette de l’EP. » La boucle était donc bouclée.

On peut d’ailleurs étendre cette symbolique au nom du groupe, dont Paolo raconte l’histoire : « C’est parti du nom “Altar” (une galaxie) qui sonnait bien, et à partir de là nous l’avons transformé en “Alter”light. Le mot “light” résume assez bien le groupe car toutes les chansons partent d’un thème qui n’est pas forcément positif à la base, mais qui justifie souvent un espoir. C’est plus positif, lumineux, coloré. Alterlight, sonne aussi comme “une lumière un peu différente” et alter en allemand signifie vieux, vieille lumière ; il y avait donc quelque chose de plus chaleureux. »

David ajoute que « c’est un peu devenu un concept, un EP concept, avec des snapshots de vie. C’était donc intéressant de voir le nom “Fragments”. C’est un tout cohérent sans l’être à cent pour cent non plus ». Pour Paolo, « l’EP est beaucoup plus sombre au début et progresse vers quelque chose de plus lumineux. D’où la fin avec “Rebirth” ». Une forme de progression cinématographique en quelque sorte.

Si je n’avais pas fait de musique, je crois que j’aurais fait des études de cinéma. Tout ce qui est scénarisé me passionne et m’emporte. Un rêve de gosse, ce serait d’ailleurs d’avoir une musique d’Alterlight dans un film ou une série. L’image et le son, moi, ça me transporte.  (Paolo)

Tout en présentant une certaine sophistication dans les arrangements et des sonorités variées, Fragments libère avant tout une énergie assez urgente qui semble taillée pour la scène, davantage que sur le premier EP. Il débute avec un prologue joué au piano de façon assez paisible et aérienne (mêlant cordes et éléments électroniques) pour transitionner vers le titre « Maniac » dans une explosion de riffs puissants, l’intro qui résonne toujours en écho derrière. Le morceau alterne moments énergiques et calmes, dans une recette rock alternatif propre à leurs influences. « Pour Alterlight, on a voulu aller à l’énergie rock de groupes comme Weezer ou Linkin Park » souligne Paolo.

Je leur ai demandé si c’était aussi une façon de confirmer une préférence pour la scène, et si Alterlight serait avant tout un groupe à apprécier en live plutôt qu’à écouter chez soi. Paolo confirme : « On a envie qu’en live, le set soit très varié pour le spectateur mais aussi pour nous. On a envie de vivre des choses très différentes sur scène et que le public s’y retrouve aussi. Mais c’est clair que “Colder” par exemple, est un morceau que personnellement j’adore jouer, même plus qu’écouter. En le jouant, il y a une énergie super rock qui nous fait plaisir aussi. Ensuite, c’est bien sûr aussi dû aux influences rock du groupe et parce qu’on a envie de garder les spectateurs un peu éveillés. » Stéphane approuve car pour lui « l’EP n’est pas à écouter seul dans sa chambre, pour se relaxer. Alterlight est un groupe à découvrir sur scène, mais où on essaie aussi de garder des moments intimistes pour varier un petit peu les ambiances. Mais avant tout, oui, c’est la scène ». D’autres influences aussi, plus pop et léchées comme One Republic, apportent une manière de travailler la production en profondeur, et d’être libre ensuite de remanier les chansons, de se les réapproprier et de les faire évoluer en live de set en set. Pour David, il faut que le live ait une plus-value : « Moi quand je vais voir un concert, je n'ai pas envie de réentendre l’album. »

Jouer de la musique, c’est aussi jouer avec les morceaux, devenir à l’aise avec eux, s’amuser aussi. Je crois que c’est important pour nous comme pour le public de voir qu’on passe un bon moment, qu’on s’amuse et qu’on prend notre pied. C’est vraiment la base pour moi. (Paolo)

Le groupe est bien conscient des réalités de la scène musicale belge, mais il garde les pieds sur terre et cherche les solutions pour se faire une place, toujours avec la musique comme préoccupation centrale : « Franchir les paliers » petit à petit, pour ne pas s’étouffer, garder cette vision pure de la musique et de la création, ne pas les voir devenir « une corvée ».

Garder cette part de « rêve de gosse » est importante pour le groupe, comme l’explique d’abord Paolo : « Je pense que, dans le domaine artistique, on en a tous, même si ce n’est pas toujours conscient. Même si, en grandissant, je prends ça avec plus de philosophie, en me disant que si je ne joue pas et ne crée pas, ça crée de la frustration… mais je sais que je dois continuer. Le but, c’est quand même la musique, ce que je crée et comment je le crée. » Pour David, il y a « quelque chose de précieux dans le rêve, quand il reste un rêve : parce que s’il se réalise, que ton monde ne tourne plus qu’autour de ça, ça peut pervertir ton sens de la musique. Moi j’aime bien que ce soit un truc à côté de mon travail que j’aime beaucoup également. » Une importance de vivre normalement pour nourrir son art et pouvoir « rouvrir la cloche de la créativité » quand il le faut.

Le groupe avance donc progressivement, à son rythme et avec confiance. « Le prochain objectif serait une petite tournée en France. Signer, c’était un objectif. On a signé… Plus tard, ce sera d’autres trucs, on ne sait pas encore. »

Alterlight sera en concert le 19 août au Festival Vibrations de Malmedy.

Même rédacteur·ice :

Fragments

Alterlight

M&O Music, 2022

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